Il serait inutile de le présenter… Depuis presque 10 ans, Davodka a su imprimer sa marque au fer rouge sur la scène indépendante. Le rappeur, originaire du XVIIIème arrondissement de Paris, nous a livré son 5ème album, ProcèsVerbal, le 10 décembre dernier. Avec un flow toujours aussi efficace et une construction lyricale déconcertante, le projet nous renvoie un reflet de notre société comme un flashball dans l’oeil d’un manifestant (avec le mérite de ne pas nous aveugler, au contraire). Entre morceaux contestataires ou considérations plus intimistes, Davodka parvient à nous surprendre… et ajoute une nouvelle pierre à son édifice.
Rencontre.
Ton dernier album, À juste titre, est sorti en 2019. Entre temps, on a vécu une pandémie. Comment as-tu vécu cette période ?
Cette période m’a permis de me recentrer sur ma famille et sur moi-même. Dans la course du quotidien, on oubliait de savourer certaines choses, le confinement m’a permis de les redécouvrir. Bloqué dans nos petits réduits, il a bien fallu s’occuper . J’ai continué à faire du son, dont le single « Apéro Visio« , sorti pendant le confinement. Le seul moyen de se retrouver, c’était ses visios, ses petites soirées beuverie à distance. J’en ai d’ailleurs profité pour créer des sessions « Apéro visio » sur Instagram où les gens pouvaient venir kicker en live. C’était l’occasion de se rassembler. Bien évidemment, j’ai créé Procès Verbal. Il était déjà en démarrage mais j’ai pu me concentrer un peu plus dessus. J’avais produit beaucoup de morceaux donc j’ai sélectionné ceux du futur projet et j’ai envoyé les autres en single, comme « Misanthrope » par exemple. C’est un morceau qui sort un peu de ma zone de confort et je ne savais pas quelle serait l’appréciation du public étant donné qu’il est un peu plus moderne, j’utilise même un peu d’autotune. Finalement, mon public est ouvert donc j’en ai profité pour ajouter des petites touches de modernité à l’album.
Tous les artistes ont été éloignés de la scène pendant de nombreux mois. Tu as eu l’occasion de faire quelques scènes depuis la réouverture, notamment le Demi Festival et ? Comment s’est passé ton retour sur scène ?
Avec mon équipe, on a essayé de revenir un peu neuf. On n’a pas eu trop besoin de répéter, ça s’est vite remis en place parce qu’au-delà d’être mes partenaires de scènes, ce sont mes frérots avant tout. On a repris notre petit train-train. Avec néanmoins quelques doutes, on n’est jamais sûr que tout le monde puisse se déplacer, si les spectateurs vont pouvoir y assister, ect… On était vraiment heureux de refouler la scène, on attendait que ça, vraiment ! On se grattait grave les veines je dirais. (rires) Là je vais repartir en tournée pour l’album, on a une vingtaine de dates déjà. J’ai vraiment hâte ! Il était impensable que je sorte Procès Verbal sans me confronter à la scène de toute façon. On espère aussi faire quelques festivals l’été prochain.
Tu cites les titres de tes anciens projets dès les premières secondes de l’album. Tu fais d’ailleurs souvent référence à tes projets précédents dans tes textes. C’est comme cela que tu envisages ta discographie ? Comme une continuité, une évolution ?
Oui, c’est complètement ça. C’est une suite logique. En réalité, Procès verbal s’inscrit plus dans la continuité de Accusé de réflexion que de À juste titre. À l’époque, on était dans une période trouble où il y avait beaucoup de choses à dénoncer. Je suis dans la même humeur sur Procès Verbal. Le titre du nouvel album fait aussi écho à mon ancien groupe M.S.D. On avait un freestyle qui s’appelait « Procès verbal » à l’époque. Le titre Fantômes [disponible uniquement au format CD] est aussi en référence au M.S.D.
Tu as invité un certain nombre de beatmakers sur cet album, comme Itam, Twoone, Wysko… mais surtout Greenfinch, qu’on retrouve à la fois sur plusieurs instrumentales et aux arrangements de certains morceaux.
Oui, j’ai beaucoup travaillé avec Greenfinch. J’affectionne énormément son travail. On a une connexion entre nous qui dépasse la musique. On s’entend très bien musicalement parlant. Sur À juste titre, il avait déjà produit 2 morceaux : « En première ligne« , l’ouverture de l’album, et « Petit Miroir« , en feat avec Dooz Kawa. Ce que j’aime bien avec Greenfinch, c’est qu’il n’est pas seulement beatmaker, il est aussi musicien. Il a l’instinct de construire un morceau… et d’étonner ! Il me surprend à chaque fois. Il a fait beaucoup d’arrangements effectivement. Sur « Cérébral » par exemple, c’est une prod de Nid2Renard. Elle est très bien mais je savais qu’on pouvait ajouter un petit plus et Greenfinch a ajouté la guitare au refrain, des gros cuts ou des sound effects, … qui a approfondit la thématique du morceau tout en lui donnant une âme différente. C’est l’idéal de travailler avec lui. En écoutant un morceau, il peut te dire directement s’il peut ajouter sa pierre à l’édifice ou pas. J’avance très vite avec lui, il respecte très bien les deadlines (rires).
Au fur et à mesure de tes albums, tu as modifié ton univers musical. À juste titre était déjà un peu plus trap, Procès verbal est assez éclectique mais tu as des morceaux sur des instrus drill par exemple.
Le boom-bap , ça fait 15 ans que je le rôde. Ce n’est pas qu’il n’y a plus de secret car on a toujours des choses à découvrir. La boom-bap reste un terrain favorable où je sais kicker d’entrée. En revanche, quand je me mets sur de la trap, de la drill, de l’afrotrap, ou des piano/voix tout simplement, ça représente tout de même un défi pour moi. Je retrouve une approche scolaire, je dois apprendre les codes, les placements, … Il ne faut pas toujours rester sur ces acquis, sinon tu tournes en rond et tu finis par t’ennuyer.
La boom-bap reste encore ton terrain le plus favorable aujourd’hui ?
Ce n’est pas forcément celui où je suis le plus à l’aise, cependant c’est celui où je peux le moins me diversifier. Aujourd’hui, sur la boom-bap, trouver d’autres thématiques que celles qui sont de l’univers de Davodka devient difficile . Lorsque j’écoute de la trap, ou de la drill, j’arrive à percevoir d’autres choses.
Fin janvier, tu as sorti un single où le Davodka de 2020 affronte le Davodka de 2010. Pourquoi avoir joué sur cette mise en scène ?
En fouillant mes archives, j’ai retrouvé un couplet datant de 2010 justement, à l’époque de MSD. Je le trouvais plutôt correct, du coup je l’ai réactualisé sur une prod de Nid2Renard. J’ai écrit un autre couplet pour jouer la confrontation.
Selon toi, qui l’emporte dans cette confrontation ?
Aujourd’hui, avec du recul, je dirais que le Davodka de 2020 l’emporte même si le Davodka de 2010 était plus complet dans son couplet.
Dans ta discographie, on retrouve très régulièrement des morceaux « thématiques » dans lesquels tu joues sur le même champ lexical. Je pense notamment à « Zeus », « Ligne de conduite » ou encore « L’ouragan ». Comment expliques-tu cette cela ?
Oui, j’ai toujours aimé tordre, et retordre dans tous les sens un champ lexical. Ça reste un exercice que j’aime faire. C’est le côté performance que j’apprécie, cette maîtrise des mots. Malheureusement, c’est une denrée qui s’épuise et au bout d’un moment ça va devenir compliqué de se baser uniquement sur un champ lexical… bien que j’aie encore des idées.
Dans « Anesthésie vocale », 2ème morceau de l’album, tu dis : « […] J’ai tout donné pour c’te zik / on s’aimait pas pour le meilleur, on s’aimait pour le pire ». Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Cela signifie que je continuerai même si ça ne marche pas. Mais ça veut dire également que je vois le rap comme un exutoire. Cette musique m’a apporté beaucoup de choses. Elle m’a permis de me débarrasser de certaines idées noires, un peu à la manière d’un dialogue avec un psychologue. Elle m’a donné ce pouvoir d’exprimer ce que j’aurais été incapable de dire à quelqu’un, en face à face. Ça me fait toujours les mêmes sensations à chaque fois que je gratte.
Cette approche du rap tu en as fait une identité, forte, que tu défends à travers tes morceaux. Pourquoi tu défends cette manière de concevoir la musique ?
Cette approche m’apporte beaucoup, alors j’imagine qu’elle pourrait aider d’autres personnes. Aujourd’hui, le rap c’est quasiment une matière de classe. Ton voisin du dessus, du dessous et de la porte à côté fait du rap. C’est aussi pour faire prendre conscience à travers mes écrits que tout est possible et réalisable. Ce qui m’a fait du bien quand j’ai commencé à écrire, c’est d’être compris. Ton discours obtient soudain des écoutes, et cela ça fait beaucoup de bien.
Pour poursuivre sur l’album, j’imagine que les deux dernières années ont dû grandement inspirer les morceaux « Accusé de réflexion chap. 3 » et « Accusé de réflexion chap. 4 »…
Oui effectivement il y a eu la période Gilets Jaunes déjà dont je parle dans le « chapitre 3 » et on arrive sur la pandémie dans le « chapitre 4 ». Sur ce dernier morceau, Le 3ème Œil apporte une approche plus internationale de la discussion.
Tu utilises énormément le cinéma dans tes morceaux, que ce soit pour les introduire ou pour en faire une thématique. Tu es particulièrement cinéphile ?
Je regardais beaucoup de films avant effectivement. Depuis que Netflix existe, je n’en regarde plus parce qu’à chaque fois que je l’ouvre, je ne sais plus quoi regarder. J’ai l’impression d’être face à une salade de fruits mais de n’aimer qu’un seul fruit (rires). C’est pour ça que les références que j’utilise dans mes morceaux datent un peu. Sur l’intro de l’album, il y a un passage du film Joker, c’est le dernier film que je suis allé voir au cinéma et il m’avait énormément marqué. Il y a des moments vraiment incroyables dans ce film. Le personnage, ce mec qu’on traite comme un marginal et qui finit par devenir mauvais avec le temps, me parle beaucoup. J’ai aussi eu une période manga : Death Note, dont j’ai fait un morceau dans l’album, Bleach, … Je ne regarde pas trop les animés d’aujourd’hui, tout le monde me parle de L’attaque des titans donc je pense que je vais finir par m’y mettre.
Dans le morceau Chute libre, tu abordes le thème de l’addiction. Pourquoi as-tu souhaité en parler ?
Il s’avère que plus les années passent, plus je recroise des personnes qui sont, aujourd’hui, dépendantes à des drogues qu’on s’était pourtant interdit de toucher lorsqu’on était plus jeune. Ça peut être l’alcool ou le bédave mais aussi des drogues plus dures comme le crack, la cocaïne, … Je fais un peu le donneur de leçon dans le morceau, ce n’est pas l’effet que je souhaitais à l’origine. À travers ce morceau, je voulais toucher directement les personnes qui n’arrivent pas à se réveiller vis-à-vis de leur addiction. Se sortir d’une dépendance, c’est extrêmement difficile. J’en ai vu tombé dedans et cela m’a suffi pour écrire « Chute libre ».
Pourtant, dans un autre morceau de l’album, « Mieux vaut deux foies qu’une », tu parles de ton rapport à l’alcool…
Oui mais je l’aborde plutôt du point de vue festif. Je l’ai écrit comme si j’étais encore adolescent. On s’incruste à une soirée avec des potes et on fout le bordel pendant que les parents du gars dorment. Je suis encore un fêtard aujourd’hui mais je voulais une approche immature dans ce morceau.
Un des morceaux phare de cet album c’est le feat avec Deadi, « Cérébral ». Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Pour retracer l’histoire, c’est Dj Blaiz qui m’a envoyé un message un jour m’invitant à écouter l’un des freestyles de Deadi. C’était un peu avant le confinement il me semble et je ne le connaissais pas du tout à l’époque. J’ai trouvé qu’il kickait grave mais je n’ai pas pour autant réalisé de démarche pour rencontrer Deadi à ce moment-là. La rencontre s’est faite instinctivement car lui aussi faisait des lives sur Instagram et on a fini par kicker ensemble pendant une session « Apéro visio ». Finalement, on s’est retrouvés durant plusieurs soirées à rapper ensemble. On a échangé plusieurs fois, et puis on s’est retrouvé sur le morceau « Anti-social ». Dans la foulée, je lui ai proposé un feat. À l’origine, je ne voulais pas l’intégrer au projet, je voulais le sortir en single mais finalement j’accorde une importance toute particulière à ce morceau car il s’est fait dans l’humain, et je trouve ça très important. J’apprécie surtout son côté performer, on en trouve de moins en moins aujourd’hui. Je trouve qu’il y a beaucoup de personnes qui écrivent très bien dans le pe-ra mais niveau kickage, il y en a peu des comme lui. Il est vraiment tout terrain, il s’adapte à n’importe quelle prod. Il épuise sa réserve de poumons au maximum, ça se voit, et moi je kiffe ce genre de gars-là. Il écrit bien, il donne le rictus et, au-delà de ça, c’est un putain d’humain.
Quels sont les artistes que tu écoutes en ce moment ?
Je suis très ouvert à ce qui se fait, je n’écoute pas uniquement de l’indé. En revanche, j’écoute peu de choses. La dernière fois, je suis tombé sur Ziak et j’aime bien comment il s’approprie la drill. J’aime bien l’univers qu’il s’est créé, la façon dont il pose mais aussi le fait qu’il se cache, qu’il soit scred. Sinon, j’écoute beaucoup Scylla, j’apprécie vraiment l’interprétation et la manière qu’il a de transmettre des émotions à travers ses morceaux. Dernièrement, j’ai écouté Bohemian Club aussi. Puis j’attends également les projets de tous ceux avec qui j’ai collaboré. J’ai trouvé Terrain Miné, l’album de Swift Guad, Ol Zico et Mani Deïz, vraiment bien. Ils ont poussé au chant sur les refrains et je trouve que ça fait du bien de ne pas avoir tout le temps du kickage brut.
Globalement, Procès Verbal est un album assez sombre, avec beaucoup de dénonciation et des thématiques assez mélancolique. Pourtant, le dernier morceau de l’album [ pour la version sur les plateformes de streaming], « Pierre à l’édifice », est plutôt porteur d’espoir…
J’ai écrit cet album durant une période de ma vie qui fût assez compliqué. Il y a certains passages de cette période qui sont retranscrits dans le projet, et je ferme le bouquin en me disant : « voilà une pierre de plus à l’édifice, et je repartirai quand j’aurais corrigé toutes mes erreurs ». Je m’en vais avec ma famille pour me reconstruire.
As-tu eu des retours sur l’album ?
C’est assez marrant car normalement, je n’ai que 2 ou 3 morceaux qui ressortent et sur Procès Verbal, j’ai l’impression que c’est plus diversifié. Ceux qui ressortent le plus pour l’instant, c’est « Zeus » pour le côté kickage, « Anesthésie vocale » et « Accusé de réfléxion chap. 3 ». Et côté featuring, j’ai eu de très bons retours sur « Aller simple » en feat avec Daddy Morry. Le côté ragga-rap, qu’on entendait plus tellement, a visiblement beaucoup plu.
Propos recueillis par K.N
Crédit Photo : HTAG ART ( Facebook, Instagram)
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