Issu du légendaire collectif ATK, Antilopsa est présent depuis de plusieurs décennies dans le rap français. Après une longue période passée dans l’ombre, il amorce son grand retour en 2022 avec plusieurs projets. Le premier volume de Printemps Noir est sorti en juin 2021 puis réédité en janvier dernier, le suivant est attendu pour cette fin d’année, et sa sortie sera accompagnée de celle d’un livre, S’endort-on dans nos rêves ?. L’actualité récente d’Antilopsa est donc très fournie, c’est donc à cette occasion que nous nous sommes réunis ce vendredi 16 septembre dans un café parisien pour échanger et évoquer les projets à venir.
ADRIEN : Bonjour Antilopsa, nous nous rencontrons par rapport à la sortie de ton projet Printemps Noir Vol. 2 en novembre. Avant cela, peux-tu rapidement résumer ta carrière au sein du collectif ATK puis en solo ?
ANTILOPSA : Alors il y a eu Heptagone avec ATK, puis après je suis passé en solo, produit par Nouvelle Donne, label indépendant de l’époque, avec qui j’ai fait l’album L’empreinte des larmes et les titres qui vont avec, comme Chacun sa voie ou L’été sera chaud, qui ont été des titres fédérateurs, et qui ont aidé dans le dynamisme et le développement de ma carrière.
A : Avant le retour amorcé cette année avec le premier volume de Printemps Noir, tu as connu une longue période durant laquelle tu étais beaucoup moins productif, peux-tu en expliquer les raisons ?
AN : J’ai été moins productif parce que j’en ai eu marre dans un certain sens, oui, et j’étais moins productif, mais je faisais toujours de la musique mais je ne la mettais pas en avant. C’est une manière atypique, particulière de la faire, mais comme je trouvais pas spécialement d’écho ou de personnes avec qui ça matchait pour la faire à cette échelle-là, je la faisais de manière très artisanale. Le temps que j’avais en plus je le mettais au profit de centres de loisirs, et je me sentais plus épanoui en faisant ça qu’en démarchage tel ou tel label et les convaincre que ma musique est comme ci, comme ça, et au final parler avec des gens qui ne la comprennent pas, ma musique.
A : Tu penses que maintenant, ils la comprennent mieux ?
AN : Alors, c’est un concours de circonstances qui m’a remis sur le devant de la scène, en l’occurrence l’album Comme on a dit d’ATK, qui a fait que ma fanbase, de mon côté, s’est réveillée et m’a demandé un album, donc du coup, je me suis mis à piocher, vu que j’avais déjà plus de deux cents maquettes. Comme je t’ai dit, je mettais pas ma musique en avant, mais j’étais dans un processus artisanal très créatif. J’écris beaucoup, j’avais une tonne de titres dans mon escarcelle, et d’autres titres se sont ajoutés au gré des rencontres avec différents beatmakers, j’ai pu élargir mes palettes et avoir une perspective plus concrète de sortie d’album, c’est là qu’on a pu conceptualiser. Vu que j’ai des connexions et des velléités sur le Japon, de nombreux beatmakers se sont mis à ma disposition pour m’accompagner dans ce nouveau chapitre de ma carrière.
A : Tu t’auto-surnommes le Shogoun Noir, à la fois en référence aux cultures japonaise et africaine, deux cultures qui ont notamment été réunies par le mythe de Yasuke. Ce dernier a donné son nom à un album d’IAM, dont les liens avec les deux régions ne sont plus à prouver. De ton côté, qu’est-ce qui t’a donné envie de relier ces deux cultures ?
AN : Pour les personnes qui me connaissent intimement, j’ai toujours été un fan de mangas, un grand kiffeur de la première heure, je fais partie de ceux qui allaient chez Tonkam, à Bastille, la première boutique qui distribuait des mangas dans la capitale, donc je kiffais vraiment les mangas. Et puis après j’étais pratiquant d’arts martiaux plus jeune, le karaté c’était quelque chose que j’adorais avec mon senseï Jean-Pierre Vignau, et mon père était un grand fan de Bruce Lee. Tout ça c’est pas le Japon mais c’est le Japon, tout ça a nourri des fantasmes et un état d’esprit qui correspond totalement à l’âge d’homme, de maturité, les valeurs de samouraï. Le samouraï c’est pas qu’un guerrier qui part avec son katana trancher des têtes, c’est aussi quelqu’un qui, en temps de paix, écrit de la poésie, en son temps, faisait le service du thé… Mou j’en suis pas là, mais en parallèle, ce sont des valeurs qui me correspondent.
A : Les sonorités africaines que tu utilises dans ce projet sont différentes des rythmes afro que l’on entend chez des artistes en vogue actuellement, tels que Naza, Chily ou MHD, elles sont plus organiques et plus roots. Comment, avec ton regard d’ancien, juges-tu cette génération et leur manière d’amener ces sonorités dans le rap français ?
AN : C’est la musique de l’époque, c’est les rythmes, le flow, chacun la traduit comme il perçoit son époque. Moi je suis le fruit de mon époque, eux de leur époque, et ils la perçoivent comme ça. Y’a des choses très très intéressantes musicalement, et moi je valide, je suis pas passéiste à dire « c’était mieux avant », la musique ça évolue, ça va toujours évoluer. À l’époque de Molière ça évoluait, à l’époque de Beethoven les choses évoluaient, on est constamment dans l’évolution, et moi j’adore ça. Je big up aussi tout le beatmaking du côté du Japon, parce qu’il y a énormément de créativité, énormément de choses novatrices, qui s’inscrivent dans le travail de tous ces nouveaux artistes, avec des sonorités différentes, des sonorités surprenantes. Je valide pas tout, mais y’a des approches que je kiffe vraiment.
A : Comment s’est effectuée la connexion avec Stone Black, du groupe Carré Rouge, que tu dédicaces dans l’intro Le corbeau, et qui est une sommité du rap marseillais mais assez méconnu hors de la ville ?
AN : Carré Rouge, pour la petite histoire, c’était un groupe qu’appréciaient beaucoup mes producteurs, Nouvelle Donne. Donc déjà, j’écoutais des titres de Carré Rouge de cette époque et je kiffais la vibe, sans connaître plus que ça, j’avais des titres qui tournaient. Ensuite, leurs différents faits d’armes, différentes mixtapes, et en 2022 c’est grâce à mon attaché de presse, V comme Valère, qui a pu proposer la connexion. Vu que je valide totalement la dynamique marseillaise actuelle, je voulais vraiment collaborer avec un marseillais pour marquer cette unité, donc c’était Stone Black et j’en suis ravi.
A : D’ailleurs, Stone Black a lui aussi été mis en avant par Jul dans 13 Organisé.
AN : Ouais, c’est très très bien ce qui se passe du côté de Marseille, je salue vraiment tout le dynamisme, et ce qui manque peut-être dans la capitale. Il manque un peu de ce liant pour permettre ce genre de projets à grande échelle, mettre les rancœurs et egos de côté pour se mettre sur une seule ligne et avancer, donc big up à la planète Mars.
A : En parlant de planète Mars, le titre Le corbeau reprend l’instrumentale de La fin de leur monde d’IAM, morceau iconique du rap marseillais et français. As-tu toujours eu un attrait particulier pour la scène marseillaise ?
AN : Pour tout te dire, à l’époque, y’avait une dichotomie entre IAM et NTM, et naturellement, mes oreilles se dirigeaient là où ce que j’analysais être du texte comme je l’entendais et qui me parlait c’était IAM. Pourtant, je viens de la capitale mais voilà, IAM ça me parlait beaucoup donc j’ai beaucoup écouté, et mon attrait pour la scène marseillaise a commencé par là. Y’a des productions que j’ai surkiffées, et des albums, en l’occurrence d’IAM et d’autres artistes, qui m’ont accompagné dans ma vie plus jeune. Cette couleur marseillaise sur mon projet, c’était un moyen de faire un clin d’œil, pas qu’à IAM mais à toute cette scène marseillaise.
A : La sortie de ce projet est accompagnée de celle d’un livre, S’endort-on dans nos rêves ?, signé de ton vrai nom Tony Locko, peux-tu nous en dire plus ?
AN : Alors le livre, il a rien à voir avec le rap, il a rien à voir avec mon parcours non plus. C’est plus une mise en abyme, c’est plus ma vision. Tu vois là, on est posés dans un café, y’a des gens autour, c’est nuancé, arc-en-ciel, y’a différentes couleurs, y’a différentes vies, y’a différentes situations. Mon livre c’est ça, ça parle de la vie, c’est onirique, c’est une mise en abyme, je peux faire une référence à Akira Kurosawa et son film Dream, je peux faire aussi des références à David Lynch, pour Mulholland Drive ou Twin Peaks, donc c’est tout sauf du rap. Quant à mon parcours, oui et non, trois points de suspension (rires).
A : Y’a-t-il de nouveaux projets prévus avec le collectif ATK ?
AN : C’était une très belle histoire qui nous a accompagnés les années passées, aujourd’hui je suis dans un nouveau chapitre de ma vie, à ce jour, avec mon livre, avec l’identité du Shogoun Noir, c’est comme une mue si tu veux. C’est le nouveau chapitre, et il est autour de mon personnage, de mon univers. ATK, tout ça, appartient au passé, comme disait Fabe, ça fait partie de mon passé.
A : Totalement en Scred (rires). Tu proposes le deuxième volume de Printemps noir, la série va-t-elle s’allonger ou passeras-tu aux saisons suivantes ?
AN : Les printemps seront toujours là, mais on conceptualisera les choses différemment, toujours avec l’amour de la plume, l’amour de la musique et des belles sonorités.
A : Merci pour cette interview, pour conclure, peux-tu rappeler la date de sortie du projet et celle du livre ?
AN : Le livre sort mi-octobre et l’album fin novembre. L’album sort via notre distributeur, Chancy Publishing, et le livre chez Mindset.
Interview réalisée par Adrien
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