Zeufa et Cevi, originaires d’Alfortville, forment le duo 2Mezur. Adeptes du kickage et d’une esthétique à l’ancienne, ils présentent ce 13 janvier leur EP Héritage. Celui-ci fait suite à leur diptyque de mixtapes B.L.C.S.T.A.P. (Bats les couilles si t’aimes pas) et se veut comme une définition claire de ce qu’est l’identité 2Mezur. Ils ont ainsi choisi Scred Magazine pour se dévoiler un peu plus au public.
ADRIEN : Vous sortez l’EP Héritage ce 13 janvier. Avant d’évoquer le projet, pouvez-vous revenir sur votre parcours, des débuts aux projets B.L.C.S.T.A.P. volumes 1 et 2 ?
ZEUFA : Le parcours il est assez simple, au tout début on a commencé par le graffiti, vers douze, treize, quatorze ans. En parallèle de ça, on s’est mis à faire du peura. On s’est rencontrés au collège avec Cevi, on a fait du rap avec quelques mecs du collège. Une partie de notre équipe était sur Cergy, une autre sur Montreuil, et nous on était dans le 94, on a fait une sorte de connexion. On aimait bien être beaucoup, avec notre premier groupe on a enregistré un projet à quatre ou cinq à l’arrache, avec un micro éclaté de Kodak, un truc qu’on a trouvé à Carrefour (rires). On posait que sur des faces B, du Nas, du Jay-Z, ça c’était les débuts. Après, avec Cevi, on a fini par avoir un groupe que tous les deux.
CEVI : Après tu connais, y’en a qui continuent, d’autres qui s’arrêtent, d’autres qui se sont mis plus dans le tag… Après on a eu un groupe tous les deux qui s’appelait La Procédure, puis d’autres dont j’ai plus les noms. On enregistrait tout chez moi, j’avais pas beaucoup de matos, on faisait des prods un peu à l’arrache. Ensuite on a arrêté puis on a repris il y a deux ou trois ans, puis on a sorti trois projets, Héritage est le quatrième. On a sorti B.L.C.S.T.A.P. Volume 1, c’était un 8 titres qu’on a présenté comme une palette, avec du boom-bap, un peu de trap, un petit son d’été, Bord de mer. Ensuite on devait enchaîner sur le volume 2 mais il y a eu le confinement, du coup on a envoyé #Enmodeclassic. Il y en a douze sur YouTube, qui ont été relayés et partagés par la plupart des MC’s qu’on a repris, que ce soit IV My Peoplepartagé par Sully Sefil qui a fait la prod, JoeyStarr, IAM, Mac Tyer, Busta Flex… Pour B.L.C.S.T.A.P. Volume 2, on a fait plus chargé, plus de titres, mais toujours une palette variée mais pas trop conceptuel. C’était notre défaut, comme sur le précédent, on visait à construire une direction artistique mais on partait toujours dans tous les sens. Cela nous a amené sur le projet suivant, parce qu’on a rencontré Oxydz à ce moment, il a fait quelques prods sur B.L.C.S.T.A.P. 2, comme Zinédine, Angle mort avec Swift Guad, Les vrais apprécient aussi… Et cette rencontre a donc débouché sur Héritage.
A : Héritage n’est pas un projet à deux mais à trois, puisqu’il a donc été réalisé en collaboration avec le beatmaker Oxydz. Était-ce facile d’intégrer une troisième personne à votre processus créatif ?
Z : C’était pas si difficile, parce que chacun avait sa mission, nous on rappe, lui il compose. Il nous a envoyé des prods, on en a choisi et on a rappé dessus, c’est passé tout seul, c’était quelque chose de logique.
C : Sur la première palette qu’il nous a envoyé on avait déjà la moitié des prods. On en a demandé d’autres, parce qu’on avait des thèmes en têtes, des types de sons qu’on voulait faire.
Z : Y’avait des prods qui étaient très bien mais qu’on n’a pas prises parce que ça collait pas. Ça partait trop en guitare, dans un truc mélodieux, et nous on voulait plus des boucles de piano, tout ça… On voulait pas reproduire les mêmes erreurs qu’avant, on voulait vraiment que tout soit conceptualisé, du titre Héritage au choix des prods.
A : Quel héritage voulez-vous transmettre à travers ce projet ?
C : L’héritage que nous on a eu et qu’on transmet sur le projet, c’est surtout le rap, avec notamment l’interview de NTM en 91, qui nous définit clairement, on ne fait pas du rap pour plaire aux autres mais pour nous avant tout. Entre le nom du groupe, NTM, et celui de nos mixtapes, B.L.C.S.T.A.P., y’a clairement une similitude. Ensuite, il y a un héritage cinématographique, comme Rocky, comme La Haine, des films avec lesquels on a grandi, comme le boom-bap, c’est ce qui nous a construit. Avec Oxydz, on s’est rendus compte qu’on avait les mêmes valeurs, le même héritage. Y’a aussi l’Italie, Oxydz, Zeufa et moi, on est tous les trois à moitié italiens. Pour nous c’était logique de l’appeler Héritage, et tout ça on va le transmettre à nos gosses, il y a une continuité.
A : Est-ce que des collaborations de prestige, comme avec Swift Guad sur le précédent projet, vous permettent de faire connaître votre héritage au plus grand nombre ?
Z : Je sais pas si on peut parler d’héritage, même si on a fait un boom-bap avec Swift, ça peut peut-être rentrer dans le truc. Mais c’était avant ce projet, on n’avait pas encore cette idée d’héritage. Après, oui, clairement, collaborer avec Swift, ça nous a donné de la visibilité, mais ça rentre pas à 100% dans la thématique.
A : Le titre 94 mesures fait penser au 93 mesures de Dinos, était-ce une manière de rendre hommage à son « héritage » ?
Z : Y’a 97 mesures de Rémy aussi. Après, est-ce que c’est un hommage à Dinos ? Oui et non, parce que ça fait déjà plusieurs années qu’on a en tête le concept de 94 mesures, et Dinos n’a sorti son morceau qu’en 2020. Après, y’a rien de très original dans le concept de 94 mesures, même si celui de Dinos a particulièrement marqué le public. Avec le titre, on s’attendait à ce type de morceau, comme pour celui de Rémy, on reste dans la lignée.
C : Ouais, on est plus ou moins de la même génération, avec Dinos, qui est d’ailleurs un artiste que j’apprécie de ouf, et Hiver à Paris est vraiment chaud de ouf. Sa façon d’écrire nous rappelles les sons sur lesquels on a grandi. Demain c’est loin d’IAM ils sont deux dessus, les sons de Tandem pareil, Mémoire d’un jeune con, Vécu de poissard… Les sons fleuves de Rohff aussi, après on va pas se comparer à ces gens-là non plus, on n’est pas dans la même catégorie. Comme Dinos dit, « J’suis arrivé dans le rap avant la mort du troisième couplet ».
A : Dans Cicatrices, vous dédicacez Lacrim, une grande figure du 94. Dans un département aussi important dans l’histoire du rap français, il y a aujourd’hui peu de têtes d’affiche qui émergent en comparaison avec d’autres départements. Comment expliquez-vous cela, et quels rappeurs voyez-vous porter le 94 à l’avenir ?
C : La référence, c’était plus par rapport à la prod, qui m’a inspiré le flow de Lacrim. C’est quelqu’un à qui je me suis buté à l’époque, avec La rue a ses dits-ban, tout ça, c’était quelqu’un. Ça l’est toujours, il est passé dans une autre branche, un autre domaine, mais je le respecte pour ce qu’il a fait. Après, pour le 94, je pense que c’est un cycle, à l’époque du Beat de Boul et du Pont de Sèvres, tout ça, après, il y a eu le 94, le 93 avec Sevran, maintenant le 91 avec Ninho, PNL et Niska, à l’époque ils ont eu Diam’s, Sinik et tout… Après, qui est le prochain dans le 94, je sais pas, c’est pas un truc qu’on calcule, et c’est quelque chose qu’on va de moins en moins calculer je pense.
A : Le morceau Cicatrices se termine avec un extrait de Rocky, le même qui est utilisé dans un titre de Sinik également intitulé Cicatrices. Il y a également un morceau nommé en l’honneur de Ray Liotta. Quel est votre rapport au cinéma, et est-ce envisageable d’entendre des projets plus cinématographiques de votre part, comme peuvent le faire SCH ou Laylow ?
C : On avait l’idée de mettre des extraits, c’est Zeufa qui s’est chargé de les choisir.
Z : Rocky ou Ray Liotta ça fait partie de l’héritage, Les Affranchis c’est un film culte pour nous. En plus, Ray Liotta est décédé y’a pas longtemps, c’était une manière de lui rendre hommage. Après, ça peut être bien de faire un projet un peu plus cinématographique, en matière de trame, mais on n’a pas parlé de ça, je sais pas si on le fera un jour.
C : On n’en a pas parlé, mais pour moi, les albums de SCH ou de Laylow, que je ne connaissais pas et que j’ai découvert avec le dernier, c’est des trucs de ouf. Moi j’aspire à ça, et là on passe du côté artistique, moi je ne veux pas être un rappeur, je veux être un artiste. Après, c’est coûteux. À notre niveau, déjà un street-clip, c’est de l’oseille. Quand tu veux rentrer vraiment dans un truc avec des gros moyens, une vraie DA, tout ça, à notre niveau c’est compliqué. Après, si demain, y’a une maison de disques qui met les lovés, c’est là qu’il faut partir.
A : Le dernier morceau, Massive Connexion, regroupe une multitude d’artistes qui gravitent autour de la Scred Boutique. En quoi l’héritage de la Scred Connexion vous a influencés en tant qu’auditeurs puis en tant que rappeurs ?
Z : Ça c’est pour Cevi (rires). Moi aussi, j’ai beaucoup écouté la Scred, mais lui encore plus.
C : Pour moi, la Scred Connexion, c’est quand j’avais quatorze-quinze ans, l’époque de Ça ou rien, Le bonheur, Fabe, tout ça… J’ai même des sons qui existent même pas, sur cassette, tout ça. Je me suis buté à la Scred, notamment Koma et Mokless, l’album de Koma, Le réveil, je l’ai saigné. J’en ai parlé avec Koma d’ailleurs, à l’époque de Du mal à s’confier, ils étaient passés sur Générations, je l’ai tellement replay son freestyle, je le connaissais par cœur. À l’époque, tout le monde passait à la radio sauf eux, mais quand eux sont passés, toute la banlieue était branchée, tout Paname était branché… Fallait encore chercher le peura à cette époque, et avec leur style d’écriture, et ce qu’ils représentent, pour nous qui étions entre la banlieue et Paname, on voyait quelque chose de différent. D’ailleurs, quand je posais mes premiers sons, limite si je pompais pas des flows à Mokless, mais c’était pas fait exprès, tellement j’étais bousillé, les mots ils sortaient comme ça.
A : Vous reconnaissez-vous dans les artistes comme 2L ou Morphé, que vous avez invités sur Massive Connexion ?
C : Ouais, c’est nos petits reufs, quand on a clippé le son, je parlais avec quelqu’un qui était présent, il m’a dit que ça tuait parce qu’on représentait toutes les générations. Y’avait Mokless, Banneur de sa génération, nous de la génération en dessous, encore en dessous Morphé, Paris Nest, tout ça… Toute la journée après le clip, ils ont fait que des freestyles.
Z : Nous, c’est pas qu’on a plus la force, mais les freestyles, on en a fait et refait, ça y est, mais eux, ils sont comme nous à l’époque, ils ont encore la dalle du matin au soir. À l’époque, tu nous mettais une instru, et boum, ça lâchait des 40 mesures, des 100 mesures, eux ils sont comme ça. En plus, c’est compliqué pour eux d’être dans un délire hip-hop comme ça, parce que ça reste une niche.
A : Après cet EP plus court que les deux mixtapes précédentes, sur quel format comptez-vous enchaîner pour la suite ?
Z : On réfléchissait à une potentielle réédition d’Héritage, avec quelques titres en plus, ou alors partir sur un album, un vrai. On est fiers de ce qu’on a fait jusqu’alors, mais c’était un peu le bordel, y’avait pas de DA… Héritage, pour nous, c’est pour l’instant le projet qui a le plus de cohérence sur la longueur. Pour le prochain, faut se poser, prendre le temps, réfléchir à une cohérence, avec une couleur dans les prods, faire un gros travail pour sortir un projet, et si possible, signer quelque part. On veut se donner le temps de sortir un prochain projet propre et réfléchi.
C : On est un peu victimes de ce qu’on a mis en place, pendant deux-trois ans, on a envoyé plein de contenu, on doit être à une trentaine de clips, je ne sais combien de sons, on est sur je ne sais combien de projets… Il fallait qu’on prenne de l’espace dans le paysage, et je pense que c’est fait, parce que si tu connais un peu le rap underground, je pense que t’as déjà entendu 2Mezur au moins une fois, même de nom. Peut-être qu’ensuite on va sortir des sons à droite à gauche, des featurings avec des têtes, le temps de préparer quelque chose de propre, au moins on va nous voir jusqu’à ce qu’on franchisse un cap.
A : Comptez-vous toujours évoluer en duo ou est-ce envisageable de voir des projets solo de chacun ?
C : Pour l’instant c’est pas prévu, en plus, ça fait plus de vingt ans qu’on se connaît, on a toujours évolué ensemble. Nos darons se connaissent, nos enfants se connaissent, quand y’a des choses à se dire, on se les dit. Pourquoi y’a des carrières solo ? Parce que dans les groupes, y’a des divergences. Nous on arrive à se pousser mutuellement, moi j’arrive à ramener Zeufa dans des trucs plus actuels, et lui il est un peu plus “puriste“ donc il m’emmène dedans aussi. Je sais que faire un projet comme Héritage, ça fait kiffer encore plus Zeufa que moi. Aujourd’hui, j’ai pas envie d’une carrière solo, dans 2Mezur, l’un ne va pas sans l’autre.
A : On peut faire le parallèle entre vous et Bigflo et Oli, qui ne veulent pas se séparer sur un projet entier, mais peuvent le faire occasionnellement, à l’image du morceau Rien n’est grave de 7 Jaws (désormais Web7), sur lequel il invite seulement Bigflo. Serait-ce possible que quelqu’un n’invite qu’un seul des deux membres sur un titre ?
C : Franchement, je vois mal quelqu’un faire un son et dire : « Je prends que Zeufa dans mon son », les gens savent qu’on est des frérots. Après pour le coup, Bigflo et Oli c’est des vrais frères, mais pour le coup j’ai l’impression qu’ils sont vraiment différents de nous. J’ai vu une interview d’eux récemment, ils parlaient de leurs divergences sur leur vision artistique, tout ça, et j’ai cramé depuis quelques temps qu’un jour y’a un album de l’un ou de l’autre qui va sortir en solo, surtout Oli. Après, me concernant, peut-être que dans quelques années si j’en ai marre je vais faire un truc tout seul. On est en indé, c’est pas les mêmes investissements par rapport à Bigflo et Oli. Demain y’a Universal qui me dit : « Tu fais ton petit solo, je mets 100000 dessus, t’as des feats, et cætera », bien sûr que je le fais. Sortir mes lovés moi-même, faire mes prods, par contre… J’ai tellement l’habitude de travailler à deux.
Z : 2Mezur, si ça existe, c’est parce qu’on est deux. Un projet comme Héritage, on va pas te sortir les montants, mais ça coûte un vrai billet, tu le divises par deux, c’est déjà plus pareil. Écrire aussi, c’est pas pareil, tu divises le travail. Après, les séparations, pour les groupes qui l’ont fait, ça a jamais totalement fonctionné. Ärsenik ils l’ont fait, pour Lino ça a marché, mais Calbo il a mis du temps à sortir un truc et ça a pas vraiment eu d’impact. Tandem pareil, Mac Tyer ça a marché mais Mac Kregor a pas la même carrière solo. Kool Shen, JoeyStarr, pareil.
C : Après dans Tandem et Ärsenik, y’avait une claire différence de niveau dans le duo avant la séparation, on voyait bien que Mac Tyer et Lino étaient plus forts, pour Booba dans Lunatic c’est pareil. C’est toujours celui que les gens trouvaient plus fort qui a fait une carrière solo plus aboutie que l’autre.
Z : Nous, la chance qu’on a, c’est que j’ai jamais entendu quelqu’un qui nous a dit : « Ouais, Zeufa est meilleur » ou « C’est Cevi le plus fort ». Chacun a ses préférences, mais on se complète. En termes de mélodie et d’écriture c’est différent, mais on n’est pas en compétition, et quand c’est le cas, ça se voit tout de suite.
C : C’est comme la Sexion d’Assaut, quand elle est arrivée on savait. On savait que quand Gims allait sortir un solo, il allait tout casser, quand Black M allait sortir un solo, il allait aussi tout casser. Pour moi c’est Lefa le meilleur, mais tu savais que les mecs derrière, les JR O Crom, ça allait être trop street pour le grand public, même si les mecs de la Sexion ne l’ont jamais négligé. C’est compliqué de partit en solo et de recréer l’unité du groupe après, surtout après autant de succès, la preuve, même eux ont fini par renoncer à leur dernier album. Y’a pas cette disparité chez nous, on ne forme qu’une seule entité, c’est ce qui fait notre force.
Interview réalisée par Adrien
Le projet Héritage de 2Mezur est disponible sur toutes les plateformes de streaming et en physique à la Scred Boutique depuis le 13 janvier.