Après un petit temps de silence, Take A Mic fait son grand retour cet été avec le projet évolutif Mindset, dévoilé en trois parties. Avant la sortie de la troisième et dernière partie le 19 juillet prochain, le rappeur du 94 s’est confié à Scred Magazine à propos de sa carrière, de sa direction artistique, de son rapport à la mode ou de ses diverses ambitions.
ADRIEN : Bonjour Take A Mic, tu sors ce 19 juillet la troisième et dernière partie de ton projet Mindset. Quel est ton mindset actuel ?
TAKE A MIC : C’est continuer d’avancer, travailler sur moi-même et travailler pour atteindre mes objectifs. C’est toute une hygiène de vie…
A : Cet album arrive trois ans après le précédent. Ce temps d’attente était-il nécessaire pour avoir un nouveau mindset ?
T : Je pense que les choses auraient pu aller plus vite, mais j’avais besoin de temps, quoi qu’il arrive, pour remettre un peu les choses dans l’ordre.
A : Ce projet, comme le précédent, sort en plusieurs parties. Pourquoi cette manière de procéder ?
T : Honnêtement, c’est plus une stratégie des équipes que de moi-même. Si ça ne tenait qu’à moi, j’aurais condensé les meilleurs morceaux de chaque projet, et j’en aurai sorti un seul en une seule fois. Après, c’est vrai que pour revenir sur le terrain et occuper l’attention des gens un peu plus longtemps, la division aide.
A : Chacune des parties représente-t-elle un aspect de ta personnalité ?
T : Exactement, un ou deux. Ça raconte surtout le train de vie et ce qui s’est passé ces dernières années. Mon quotidien, mes joies, mes peines, dans chaque partie.
A : Est-ce que ce projet est le projet idéal pour qu’un auditeur qui ne te connaîtrait pas te découvre et te comprenne du mieux possible ?
T : On est en train d’y arriver, mais je ne pense pas qu’on y soit encore. Je veux sortir un projet qui parle vraiment de moi et qui me définit vraiment, on est sur le point d’y arriver mais pas encore. Visuellement aussi, dans l’histoire, j’aurais voulu raconter plus de choses sur ce projet.
A : Ce projet est donc davantage un cadeau pour ceux qui sont là depuis le début ?
T : C’est un peu une carte de visite, et on commence petit à petit à s’ouvrir et à connaître Take A Mic pour de vrai.
A : Il y a deux collaborations sur Mindset, avec Alonzo et Olazermi, alors qu’il y avait dix invités sur Inaccessible en 2021. Était-ce une volonté de te recentrer davantage sur toi-même ?
T : Oui. Et pour te dire la vérité, les collabs sur ce projet, je dirais pas que c’est des accidents, mais de base, je voulais revenir avec un projet entièrement solo. Ça s’est fait tout seul en croisant les mecs au studio, on a essayé des choses, et je me suis dit : « pourquoi pas ? ».
A : Tu t’es fait connaître comme un kickeur efficace, notamment avec les freestyles Strict minimum, même s’il y a toujours eu des morceaux ouverts tels que Blessure d’amour dans ta discographie. Penses-tu être arrivé avec ce projet à toucher un juste milieu entre ces deux types de sonorités ?
T : Ouais, j’ai eu pas mal de retours sur Drive et Vivienne Westwood, pas mal de gens qui ont kiffé Le film également. Les morceaux plus rap sont sur la troisième partie du projet, qui sort le 19, on verra si ça touchera le public qui a kiffé les Strict minimum. Mais ouais, c’est assez bien réparti, et c’est quand même un risque que je prends d’évoluer musicalement. Mais peu importe que ça plaise ou non, je veux juste faire ce que je kiffe, et c’est cool si le public reste dans la barque. Quand on me connaît bien, on sait que dans le son, j’ai jamais vraiment changé, depuis le début y’a du kickage et de la mélodie.
A : Quels artistes t’inspirent en 2024 ?
T : J’ai tellement d’influences… Je peux autant écouter du Summer Walker, que du Partynextdoor, que du Playboi Carti, du Gunna, du Travis Scott, du Don Toliver… C’est ces artistes-là qui captent mon attention, des artistes qui essaient de faire évoluer leurs influences, qui ne restent pas dans une case. Ils se servent de tout ce qu’ils kiffent pour faire leur musique à eux. Partynextdoor, c’est un artiste R’n’B, mais il l’amène plus loin, avec beaucoup d’influences electro, rock, tout ce qu’il a pu kiffer. C’est pareil pour les autres, Gunna a révolutionné la trap, il chantonne dessus, c’est plus la trap comme on l’a connue. C’est des gens qui ont simplifié de la musique mais l’ont en même temps complexifiée en allant chercher des trucs que les gens n’écoutent même pas habituellement.
A : La mode a toujours une place centrale dans ta vie et tes lyrics. Il y a notamment un titre nommé Vivienne Westwood sur ce projet. Comptes-tu t’y investir davantage hors du rap ?
T : Je m’investis beaucoup dans l’image, on me voit beaucoup dans des défilés. C’est un taf, en vrai. Je ne m’en suis jamais caché, j’ai toujours été inspiré d’artistes US de la génération 90, où chacun avait sa personnalité, et elle allait avec ce que l’artiste transmettait musicalement. Un mec comme Busta Rhymes, il rappe hyper vite, hyper technique, il a un grain de folie, son look il va avec. Missy Elliott aussi c’était grave space, dans son look aussi ça se voyait. C’est pareil pour moi, mon image doit être à la hauteur de ma musique, y’en a pas un qui peut être plus important que l’autre.
A : Pourrais-tu lancer ta propre marque comme l’a fait Mac Tyer par exemple ?
T : Ça c’est un boulot. Pourquoi pas, mais avec des gens qui s’y connaissent vraiment, pas juste mon instinct et mon goût pour la mode. Y’a des codes, des mesures, donc je devrais m’associer avec quelqu’un qui s’y connaît vraiment, qui sait dessiner, coudre, connaît les proportions, les matières… C’est pas juste « je suis rappeur, j’ai un peu de style… » C’est pas suffisant.
A : Quels rappeurs français ont le meilleur stylisme selon toi ?
T : Selon moi, il y a des piliers, des mecs qui ont ouvert la voie. Je cite toujours les mêmes noms, même s’il y en a aussi dans l’ombre, c’est des précurseurs comme Mac Tyer, Disiz aussi, des gens qui avaient du goût pour des choses qui sont venues longtemps après. En troisième position, Joke, à l’époque, c’était très fort, c’était le premier mec qui donnait envie aux autres rappeurs de faire attention à leur image. Même si j’estime que moi et Joke on a commencé en même temps et eu les mêmes goûts, c’est le premier à avoir l’exposition et faire attention aux pièces qu’il porte, à faire des collabs avec certaines marques pas encore trop hype, style Margiela, à mettre en avant les collectionneurs de sneakers. Il a ouvert plein de portes, c’est grâce à lui que les rappeurs veulent être en front row dans les défilés de couture. Avant ça, ils s’en battaient les couilles, ils voulaient mettre que du Lacoste et des Air Max.
A : Dans Baie vitrée, tu évoques le changement social que crée la réussite, tu dis notamment : « J’échangerais bien ce plafond de verre contre une belle baie vitrée ». Est-ce que ta réussite a créé des dégâts dans ton entourage ?
T : Bien sûr. Avec la spéculation qu’il y a autour du rap, les gens pensent que tu as plus d’argent que tu n’en as vraiment, plus de succès que tu n’en as vraiment, que ta vie est simplifiée parce que tu es connu, ils comprennent pas pourquoi tu ne peux pas toujours les aider… Pourtant je ne suis pas encore à un niveau où je vends des millions de CD et je tourne partout, mais ça a déjà créé beaucoup de problèmes, même au sein de ma famille, y’a beaucoup de gens qui ne comprennent pas ce que je fais. Quand y’a un truc qui ne va pas, ils n’en discutent pas, ils se font leur propre avis, sans avoir de discussion avec la personne concernée. Donc je fais ma vie, tant pis, et si tu veux me poser une question sur un truc, on peut avoir une discussion de même six heures s’il le faut, pour que tu comprennes. Mais c’est pas si facile que ça.
A : L’évolution sociale ouvre à un plus grand public qui n’a pas forcément les codes du rap. Avec le contexte politique actuel, on se rend compte que de nombreux auditeurs ne sont pas du tout alignés avec les idées et la mentalité des artistes qu’ils suivent. Est-ce que tu as pu constater ce cas de figure dans ton public ?
T : En fait, c’est difficile, parce que je ne parle pas trop de politique sur mes réseaux sociaux, donc les gens ne savent pas vraiment où je me positionne. Donc je n’ai pas trop senti de décalage. J’ai vu des stories de mecs que je suis qui ont été surpris du décalage entre leurs idées et celles des gens qui les suivent. Les gens c’est quand ça les arrange qu’ils comprennent les paroles.
A : Comment faire pour éduquer davantage son public à ces problématiques sans forcer le rap « conscient » ?
T : En fait, est-ce qu’on est là pour éduquer les gens ? C’est très difficile, tu fais ta musique, tu donnes ton point de vue, mais si quelqu’un a envie de penser quelque chose ça va être difficile de le faire changer d’avis. C’est faisable, tu peux convaincre une personne, mais c’est pas en une chanson, un album, que tu y arriveras. Ça prendra énormément de temps.
A : Il faut revoir le mindset de tout le monde ?
T : Oui, parce que les gens pensent des choses qui sont leurs croyances depuis le début. Depuis qu’ils sont nés on leur met ça dans la tête. C’est trop difficile de le sortir de leur tête, ça se fera pas en une chanson ou une story. C’est un travail de terrain. Tous ces gens qui pensent que dans les banlieues, y’a que des gens qui volent ou dealent, faut pas les prendre et leur montrer : « Regardez, mon neveu il a un master en tel domaine… ». Faut qu’ils passent vraiment un séjour pour qu’ils le voient de leurs propres yeux, et ça sera peut-être quand même insuffisant.
A : Mindset annonce-t-il d’autres projets dans la foulée ?
T : Bien sûr, on s’arrête jamais.
A : Pourras-tu défendre Mindset sur scène ?
T : J’espère, on est en train de préparer ça, mais dès que j’en saurai un peu plus, on communiquera dessus.
A : Scred Magazine restera à l’affût.
Les deux premières parties du projet Mindset de Take A Mic sont disponibles sur les plateformes de streaming, la troisième le sera à partir du 19 juillet.
Interview réalisée par Adrien