Après avoir donné une belle interview à Scred Magazine pour son album Tour de magie en 2022, Souffrance est de retour pour présenter son tout dernier opus en date, Hiver Automne, qui témoigne d’un nouveau statut du membre de l’Uzine sur la carte du rap français.
ADRIEN : Souffrance, c’est le début du printemps, mais on est là pour parler de l’album Hiver Automne, sorti en fin d’hiver. Pourquoi tu as voulu l’appeler comme ça ?
SOUFFRANCE : Ce sont des saisons que j’apprécie, qui sont pour moi des saisons de création, qui développent l’imaginaire, parce que la nuit y est très présente. Comme dans ma tête je voulais lancer un projet assez sombre, je trouvais que ça représentait bien l’idée du projet. Aussi, l’automne, c’est une saison qui est poétique, avec plein de couleurs, et l’hiver c’est très froid, un peu la mort.
A : Pourquoi dans ce sens-là et pas plutôt Automne Hiver ?
S : Parce qu’on fait tout à l’envers, nous ! « Automne Hiver » c’est un truc que t’entends souvent, donc je le préférais à l’envers.
A : L’hiver et l’automne c’est les saisons pour créer, et le printemps et l’été c’est les saisons pour jouer ce qui a été créé sur scène ?
S : Exactement. Après je dis ça, mais l’été, ça peut être aussi une saison pour créer quand tu bouges en vacances. Ça te permet d’avoir du recul, et t’as moins d’interférences dans ce que t’as dans ta vie de tous les jours. C’est comme une solution qui se décante, je sais pas si tu comprends, si t’as fait de la chimie plus jeune.
A : C’est un album qui te sort un peu de ta zone de confort, il s’éloigne des sonorités avec lesquelles on t’a connu. Tu avais besoin de ça pour faire ce projet ?
S : Ce qui est important pour moi dans ma création, c’est de créer l’effet de surprise. C’est d’arriver avec des projets qui recréent l’effet d’un premier album. Par rapport à la création, j’avais besoin d’autre chose pour apporter de l’air à ma créativité.
A : C’était déjà pour ça que tu as fait le petit projet Éléphant, aux sonorités electro, l’an dernier ?
S : Exactement, c’était aussi une récréation, un projet avec moins d’enjeu, où les gens ne m’attendaient pas forcément, mais où je pouvais m’amuser.
A : On avait déjà fait une interview pour Tour de magie, ton deuxième album. Là, c’est le quatrième. Est-ce que tu trouves que ton statut dans le rap, comment le public et les autres rappeurs te voient, a évolué depuis ?
S : Je trouve que mon statut a évolué, je l’ai vu dans le respect que m’ont donné les featurings que j’ai fait, Vald, ZKR, Oxmo Puccino sur Eau de source, et sur celui-là, Soprano, Jewel Usain, Isha et Chilly Gonzales. Je sens une reconnaissance, mais au niveau du public, faudrait que le public me suive plus. Il a quelques efforts à faire là-dessus ! C’est mon impression à moi, mais pour moi, la qualité de mes trois précédents albums méritait d’être plus suivie.
A : Notre ami Raphaël Da Cruz fait une propagande constante pour te mettre en avant, est-ce que tu penses que ça aide aussi à attirer plus de public ?
S : Pour avoir plus de visibilité et à faire écouter ta musique à des personnes qui ne l’ont pas encore entendue, forcément que les médias aident là-dessus. Le fait que Raphaël Da Cruz apprécie fortement ma musique, forcément ça a été une aide bienvenue dans ce milieu, comme toute personne qui parle de ce que je fais, comme toi aussi, comme les auditeurs qui sont pas forcément journalistes qui font du bouche à oreille…
A : Est-ce que maintenant que tu as fait ta place, sur le tard par rapport à d’autres rappeurs, tu te donnes une date limite pour continuer dans le rap ?
S : Pour moi, j’ai pas encore fait ma place. Y’a une différence entre ce que les gens perçoivent et la réalité. Se faire sa place dans le rap, c’est extrêmement difficile aujourd’hui, il y a énormément de niveau, énormément de propositions différentes. Aujourd’hui, le public rentre davantage dans des morceaux que dans des univers complets d’artistes. Donc je considère ne pas m’être fait ma place complètement dans ce monde. Par contre, je considère être rentré dans l’Histoire du rap.
A : C’est un peu contradictoire…
S : Non, il y a plein de personnes qui n’ont pas fait leur place et qui sont rentrées dans l’Histoire du rap. Aujourd’hui, elle est multiple, avec le nombre de personnes qui rappent, tous les styles différents, chacun peut se faire sa propre histoire du rap.
A : Dans le live avec Mehdi Maïzi, tu as dit que tu avais fait cet album un peu comme un film. Qu’est-ce qui rend ce projet plus cinématographique que les précédents ?
S : Je l’ai pas vraiment conçu comme un film, mais je me suis inspiré de films sombres que sont Blade Runner et Sin City. Le premier pour le côté où il fait tout le temps nuit, il pleut tout le temps, et le style rétro-futuriste et punk. Le deuxième pour la violence de l’univers. Ce qui se rapproche aussi d’un film dans cet album, c’est mon écriture. J’ai changé mon écriture, sur cet album, Souffrance est de plus en plus Souffrance et de moins en moins Sofiane.
A : Je ne sais pas si la comparaison est juste, mais c’est un peu comme SCH qui devient de plus en plus JVLIVS et moins Julien/SCH ?
S : Ça peut être une comparaison juste, mais dans mon album, la part autobiographique reste quand même très élevée. Avant, c’était une autobiographie totale, maintenant elle est plus romancée. Comme dirait Isha, la vie a augmenté, c’est un Souffrance augmenté.
A : Si tu devais comparer ta carrière à un film, ça serait lequel ?
S : Forrest Gump !
A : Dans le film de cet album, il y a un metteur en scène important, TonyToxik, qui vient comme toi du groupe l’Uzine. En quoi est-il essentiel dans la création de l’album ?
S : TonyToxik, il est essentiel dans Souffrance, pas que dans la création de l’album. L’entité Souffrance n’est pas que Sofiane, y’a aussi TonyToxik qui met une énorme pierre dans la direction artistique et la composition musicale. C’est mon associé depuis toujours, avec Cenza et Vakeso aussi. Avant un album, je discute avec lui pour savoir où il veut aller. Comme il le disait à la nocturne de Skyrock, à chaque début d’album, je vire TonyToxik. Je lui dis : « maintenant il faut qu’on travaille avec d’autres personnes et qu’il y ait d’autres instrus sur ce projet », et à chaque fois ça l’énerve, et à chaque fois il me sort des instrus de ouf !
A : Est-ce que tu te verrais faire un album sans lui ?
S : Si, c’est possible, mais jamais sans lui à 100%. Il peut avoir un autre rôle que beatmaker.
A : Y’a un autre musicien de talent qui a participé à cet album, Chilly Gonzales, rappeur et compositeur prodigieux qui vient de Montréal. Comment s’est faite cette connexion ?
S : Elle s’est faite par rapport au morceau Score qui est présent sur Eau de source. Sur ce titre, c’est Max KDCH qui a fait le piano, Chilly lui a envoyé un message pour lui dire que ce piano était incroyable. Max m’en fait part, ensuite Chilly me contacte. Il y a eu une sorte de quiproquo, je pense qu’il m’invite, il pense que je l’invite, et on se retrouve tous les deux chez Max à faire de la musique ensemble et à faire un barbecue au mois de janvier, en hiver, d’où le titre du morceau.
A : Tu chantes un peu plus sur cet album, est-ce que c’est la présence de Chilly qui t’a influencé ?
S : Non, pas du tout, je chante depuis Tranche de vie, sur le morceau 93ème zone.
A : Par rapport à Tango aujourd’hui, c’était quand même moins assumé.
S : C’est sûr, mais c’est quelque chose sur quoi je travaille depuis bien avant. Il faut savoir que j’ai un plan dans ma tête, et que les choses sur lesquelles je travaille ont été décidées il y a pas mal d’années déjà.
A : Y’a un autre rappeur qui chante beaucoup, mais pas sur cet album pour le coup, c’est Soprano. Comment s’est faite cette connexion ?
S : La connexion, elle s’est faite par un message que j’ai reçu de Soprano : « Salam Souffrance, est-ce que t’es chaud pour venir faire un son à mon Planète Rap ? ». Déjà, c’est un honneur pour moi, donc forcément j’accepte l’invitation. Quand Soprano t’invite sur son Planète Rap, faut écrire un vrai texte, que j’ai interprété là-bas. Après, on discute ensemble et je comprends qu’il serait chaud de poser sur un son avec moi. Y’a un gars qui s’appelle Yanis, de Marseille, grosse force à lui, qui me dit : « Mais frérot, le freestyle que t’as fait sur Skyrock, au Planète Rap de Soprano, faut que tu le sortes, c’est trop fort ! », donc j’envoie le freestyle à Sopra et il accepte de continuer derrière.
A : Ça a l’air de lui faire plaisir d’avoir des occasions de sortir de sa DA un peu plus mainstream.
S : Ouais, j’ai l’impression. Il fait souvent ça, sur des trucs comme Bafana Bafana Remix, le son avec 13 Organisé où ils sont super nombreux… Quand il a accepté de passer après ce couplet, je savais qu’il allait rapper, je vois pas ce que tu peux faire d’autre à part kicker.
A : Ça me fait penser au Soprano époque Puisqu’il faut vivre, qui avait lui aussi beaucoup de souffrance en lui à cette période. Limite, s’il avait eu l’idée avant toi, il aurait pu lui-même choisir de s’appeler Souffrance. Est-ce que tu l’as beaucoup écouté à cette époque ?
S : Quand il est arrivé à l’époque avec les Psy 4 De La Rime, il m’avait choqué. Par son flow, et par l’utilisation d’un vocabulaire et de mots qu’on n’avait pas l’habitude d’entendre. Aussi, il avait un accent très prononcé, une manière de rapper vraiment identifiable. En solo, j’ai eu du mal à rentrer dedans, mais un jour un gars m’a sorti une mixtape, faite par lui-même avec plein de couplets de Soprano, des bouts de feat à gauche à droite, et je l’ai saignée en boucle, H24, j’étais choqué par le niveau de Soprano.
A : Si on avait dit au Souffrance de Tranche de vie qu’il aurait Soprano sur son album trois ou quatre ans plus tard, qu’est-ce qu’il aurait répondu ?
S : Je pense qu’il aurait dit : « Pourquoi pas ? » parce que tout est possible dans cette vie. Imagine, dans trois ou quatre ans, j’ai Kanye West sur mon album… Merde ! C’est le mauvais nom à citer, c’est pas le bon moment… (rires) On va dire Nas, si dans trois ou quatre ans tu me dis que je vais avoir Nas sur mon album, je te dis : « Pourquoi pas ? ».
A : Tu vas inviter Soprano à l’Olympia, s’il n’est pas déjà en concert ailleurs au même moment ?
S : Bien sûr, si tout va bien, il sera là.
A : Est-ce que tu t’imagines avoir la même évolution artistique que Soprano dans le futur, plus pop et ouvert au grand public ?
S : Mon évolution artistique, j’en parle pas. Si je t’en parle aujourd’hui, je vais détruire l’effet de surprise de ce qui va arriver. Et ce qui est important pour moi c’est la surprise. Donc j’ai un plan en tête, y’a des choses qui vont changer, d’autres qui resteront. Tu vas avoir parfois un morceau flashback…
A : Il y a deux autres featurings avec des sacrés kickeurs, Isha et Jewel Usain. J’ai été te voir à La Cigale l’an dernier, j’ai vu comment le public a explosé au moment du feat avec Limsa d’Aulnay. Est-ce que tu fais ces collaborations aussi en pensant à ce que ça donnera sur scène ?
S : Non, je pense pas à la scène quand je fais mes collaborations, je pense à des personnes dont je respecte et j’admire la pratique, qui ont un niveau excellent dans l’art qu’ils pratiquent, qui est le rap. Quand t’as des Isha, Jewel Usain, Limsa d’Aulnay, Prince Waly, Vald, Oxmo Puccino, ZKR… c’est des gens qui respectent notre culture et ont un niveau exceptionnel.
A : Dans le featuring avec Isha, tu dis : « Le rap, cette musique, il n’y a pas meilleur ». C’est vrai, tu m’apprends rien perso, mais est-ce que tu as l’impression que tous les gens du rap pensent ça ?
S : Aujourd’hui, le rap est un peu vampirisé, on va avoir tendance à rentrer dans la catégorie rap des choses qui n’en sont pas. Je donne souvent cet exemple, une interview de Kassav’, qui disait qu’on s’était fait avoir sur la bataille du vocabulaire, aujourd’hui on appelle pop urbaine quelque chose qu’on devrait appeler zouk. Aujourd’hui, le rap a trop gagné la bataille du vocabulaire, tout est estampillé rap. C’est un vrai problème. C’est pas parce que je mets un survêt que je suis un rappeur. Je peux mettre un survêt, être dans une cité, et faire de la variété française, du blues, de la dance, de l’electro, du reggae… Des choses qu’on n’est pas obligé d’estampiller rap. Mais comme c’est ce qui vend aujourd’hui.
A : En ce moment, on parle beaucoup de la droitisation du rap et du public, Vald a même fait un morceau pour s’en moquer. Est-ce que ça te gêne si dans ton public, il y a des gens aux valeurs opposées aux tiennes ?
S : Ça me rappelle une phrase de Rim’K, « Ça me fait de la peine de voir les boloss écouter les sons que j’aime ». Moi je pense que par rapport à mon groupe et par rapport à mes textes, si quelqu’un vient me voir sur scène c’est forcément qu’il se reconnaît dans certaines valeurs. Mon rap, il est politisé, mais je ne sais pas vraiment le placer sur l’échiquier politique. Ce qui est sûr, c’est qu’il est plus à gauche qu’à droite, maintenant il y a aussi une dimension capitaliste vu qu’on vit dans un monde capitaliste. Le rap, c’est un reflet de la société, et comme tous les autres styles de musique, il suit l’évolution de la société, plus que les autres encore.
A : Il y a des gens avec les mêmes valeurs en tout cas, qui sont toujours là depuis des années, c’est ton groupe L’Uzine. Vous avez annoncé un album commun avec le groupe américain Onyx, comment il s’est fait ?
S : Dans L’Uzine, faut savoir qu’on est une famille. Quand t’es à un repas de famille, c’est possible que tu sois pas d’accord avec ton oncle ou ton cousin. Dans L’Uzine, on partage des valeurs communes, mais y’a aussi des sujets sur lesquels on n’est pas d’accord. Quoi qu’il arrive on reste ensemble. Sur l’album précédent, on avait fait On va les pendre avec Onyx, grâce à DJ Venom qui a fait le lien. Ensuite, je voyais beaucoup TonyToxik parler avec FredroStarr, ils avaient vu que notre morceau avait assez bien marché. J’ai dit à Tony : « Mais en fait, pour L’Uzine, faudrait faire un 5 titres avec Onyx, ça serait incroyable ! ». Tony a simplement appelé Fredro, qui lui a répondu : « Bah non, on va faire un album ! ».
A : La barrière de la langue n’empêche pas de se comprendre en studio et de travailler avec eux ?
S : Non, dans le hip-hop on a le même système. Y’a pas besoin de savoir parler, y’a juste à mettre une instru. Si tu connais le système des mesures, tout le monde sort son téléphone et se met à écrire. Sauf Cenza qui a un papier et un stylo.
A : C’est le premier album commun entre deux groupes des deux côtés de l’Atlantique. C’était un challenge à réaliser ?
S : Je suis pas sûr que ça soit vraiment le premier, mais ce dont je suis sûr c’est que ça sera le premier avec une telle symbiose. Onyx c’est tellement légendaire, et leur rap a tellement inspiré le rap de L’Uzine, que c’est incroyable. C’est comme si aujourd’hui, on faisait un album avec le groupe IAM de l’époque. Ou NTM. T’imagines un album L’Uzine / NTM ? Ça serait incroyable.
A : Est-ce que c’est facile de passer constamment de Souffrance le rappeur solo à Souffrance de l’Uzine, en n’ayant pas toujours droit à la même exposition médiatique ?
S : C’est deux exercices tellement différents. Dans Souffrance, je me permets d’aller dans mes délires, et avec L’Uzine, c’est un retour aux sources, à la base. L’Uzine c’est le socle, comme dit Jewel Usain dans notre featuring : « J’reviens à la base, le socle ».
A : La suite du programme pour toi, c’est l’Olympia le 20 mai. On peut s’attendre à quoi ce soir-là ?
S : On peut s’attendre à pas mal d’invités, à un vrai spectacle. Tous ceux qui m’ont vu sur scène savent qu’à chaque fois il se passe un truc.
A : Je confirme. Est-ce qu’il y a d’autres salles que tu vises ?
S : J’ai pas de rêves, que des objectifs. L’objectif c’est l’U Arena, 40000 personnes.
A : L’album finit sur Le repos des braves. Tu comptes te reposer ou tu vas encore renvoyer du nouveau ?
S : Tant que je suis pas riche, je me repose pas.
A : Streamez Souffrance pour le rendre plus riche quand même.
S : Vous inquiétez pas, même quand je serai riche je me reposerai pas. Nas disait : « Le repos est le cousin de la mort » donc j’aurais pu te dire que tant que je suis pas mort, je me reposerai pas en fait.
A : Le plus tard possible, comme disait Thierry Roland.
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