Architecte sonore de la légendaire Fonky Family, DJ Djel n’a jamais cessé d’oeuvrer pour la scène rap de Marseille. Ces 12 et 13 avril, il organise la toute première édition du festival qu’il a lui-même mis en place, et logiquement nommé Fonky Festival. Cet événement historique permet ainsi de réunir et faire rayonner toutes les générations du hip-hop phocéen. Pour cette occasion, DJ Djel s’est confié à Scred Magazine.
ADRIEN : Comment est venue l’idée de créer le Fonky Festival ?
DJ DJEL : On a été influencés par des festivals comme le Scred Festival à Paris ou le Demi Festival à Sète. Et je trouvais qu’il y avait un besoin, pour les artistes, de tourner, à une époque où il y a beaucoup de réseaux sociaux, de plateformes en tous genres… Pas forcément pour les gros, ni les tout petits en développement, mais pour ceux qui ont déjà une carrière, pour lesquels on a du mal à trouver des dates du côté de chez nous. J’ai fait un constat, et je me suis dit : « Pourquoi pas les mettre tous sur une scène avec une forte identité marseillaise ? »
A : Il y a beaucoup de festivals différents dans le Sud, mais très peu 100% rap, contrairement à la région parisienne. Est-ce que cela a pu créer une forme de frustration chez les rappeurs marseillais ?
D : Je ne pense pas que ça soit une frustration, c’est plutôt à cause d’une non-organisation. Tout le monde n’est pas au courant de comment ça se passe et n’a pas forcément envie de se frotter à ça. Ceux qui sont au courant organisent déjà des concerts ou des festivals, et chez les rappeurs, il n’y en a pas beaucoup. C’est peut-être une frustration de ne pas en avoir assez quand on voit un festival comme Marsatac partir vers le rap. Donc on essaie de faire quelque chose de 100% rap, organisé par des gens du rap, et on essaie de mettre la culture hip-hop en avant, comme le battle rap ou la danse.
A : Était-ce facile de proposer ce projet aux autorités compétentes pour valider son organisation ?
D : Pas du tout, c’est 100% sans financeur, juste avec mes deniers et ceux de mon associé Alphonse. On l’a fait sans subvention, avec juste l’envie de les faire.
A : L’idée d’apposer le nom de la Fonky Family à ce projet était-elle présente dès le départ ?
D : C’est venu en cherchant le nom, vu que c’est celui de mon groupe, avec lequel j’évolue depuis toujours dans la musique. C’est aussi une manière de nous faire un big up, nous qui avons été présents avec la nouvelle scène, avec les feats du Rat, de Sat, de Choa, les différentes mixtapes où j’ai découvert pas mal d’artistes, comme Kalash L’Afro. C’est pour moi une façon de transmettre donc c’était logique qu’on ait ce nom.
A : Est-ce que cela permet de teaser un éventuel futur projet du groupe, ou des solos des différents membres ?
D : Pas du tout, y’aura pas la FF en concert, ils seront seulement là dans le public comme c’est le cas à de nombreux événements. La Fonky Family c’est une chose, le Fonky Festival de Marseille c’en est une autre, c’est important de différencier les deux. Ce qui va se passer avec la FF à partir du 13 juillet, c’est qu’on sera sur plusieurs festivals. Et on a très envie de repartir, de se retrouver sur les routes. Mais ça ne met pas un appel de phares sur la suite.
A : Il y a parfois eu des tensions et des distances entre les différents membres du groupe. Est-ce que cet événement à venir a permis de créer une nouvelle unité ?
D : Bien sûr, il y a une forte unité dans le groupe. Les tensions qu’on peut avoir c’est celles qu’on peut avoir dans une famille. Y’a jamais eu d’ennemis dans le groupe, comme partout où il y a beaucoup d’amour il y a eu un peu de friction. Les personnages sont hauts en couleurs et ont aussi besoin de s’affirmer. On s’est connus, on n’avait pas dix-huit ans, aujourd’hui on en a presque cinquante. Tu mûris, tu mets de l’eau dans ton vin, tu te laisses moins avoir par tes nerfs. Aujourd’hui c’est une super ambiance et je suis super content.
A : Jul a beaucoup collaboré avec Le Rat Luciano, ce qui permet à la partie la plus jeune de son public de le connaître. En revanche, la Fonky Family dans son ensemble ne bénéficie pas de la même lumière, est-ce que ce festival représente également l’occasion de rafraîchir l’image du groupe ?
D : Pas du tout, j’ai jamais arrêté de faire de la musique. La première mixtape de SCH, c’est moi qui l’ai faite, sur Aubagne avec des artistes locaux. Jul, quand il était pas connu, il traînait en bas de chez moi. Sat a déjà fait des feats avec plein d’émergents, Le Rat pareil. On n’a pas besoin de ça, on a laissé une couleur, une façon de penser dans les années 90-2000, qui ont suivi toute une génération qui nous a fait connaître à ses enfants. Aujourd’hui, j’ai des jeunes de dix-huit, vingt ans, qui me parlent de la FF et qui rêveraient de voir la FF en concert, parce qu’au niveau texte…
A : Dans la légende, c’est dans le titre.
D : C’est ça, c’est un truc qui reste. On n’est pas dans une poursuite de l’image, et on est même hallucinés que des trucs qu’on a écrit il y a des années soient toujours d’actualité, avec des thématiques très actuelles.
A : La programmation est 100% marseillaise, avec des rappeurs de toutes générations. Était-ce important d’inclure toute l’histoire du rap de Marseille dans cet événement ?
D : Y’a toutes les générations mais aussi tous les styles. On n’a pas fait place qu’au street ou au mainstream. On a des rappeurs comme Rageur, qui est proche d’Hugo TSR, très underground, très boom-bap, et on a Ghetto Phénomène, le groupe de Jul, ou So La Zone, Stony Stone, qui sont très frais. Et on a des légendes comme Faf La Rage, Puissance Nord, Le Troisième Œil ou R.E.D.K. de Carpe Diem. On a aussi Soumeya, qui a fait Nouvelle École, Lansky Namek, Al Iman Staff, qui est le groupe de Muge Knight, une forte personnalité marseillaise. On a plein de styles, je me plais à imaginer que des parents viennent avec leurs enfants, qui leur feront découvrir So La Zone, pendant qu’eux leur font découvrir Faf La Rage. C’est aussi ça le rap, c’est pour ça que c’est devenu la nouvelle pop.
A : Il y a assez peu de têtes d’affiche dans cette première édition, est-ce prévu pour les prochaines si le succès est au rendez-vous ?
D : J’en rêve, y’en a encore plein, Freeman, Bouga, Mino… Les Psy 4, c’est un rêve de les faire, IAM, SCH, Soso Maness, Kofs, YL, Naps, Sopra’ tout seul ou Alonz’ tout seul, énormément d’artistes. Et on a envie de montrer que la ville, avec son identité, peut se démarquer. D’ailleurs, elle est hyper gentrifiée par des gens qui viennent du nord, ils trouvent la ville apaisante. D’ailleurs, on a plusieurs rappeurs de Paris qui habitent à Marseille et c’est tant mieux, Sultan, Dany Dan… Ici, on est à la fois très proche de la culture hip-hop, on a croisé le fer avec Koma, 113 et autres, mais on a aussi ce recul du show-business de la musique.
A : Les têtes d’affiche ne seront pas sur scène n’hésitent pas à vous envoyer de la force via les réseaux. Ressens-tu une vraie solidarité au sein de la scène marseillaise ?
D : Soso Maness a fait une vidéo et je l’en remercie énormément. On est très contents quand un marseillais réussit, on n’a pas à se tirer dans les pattes. Pour nous c’est des porte-drapeaux donc on est contents. J’ai eu un message de soutien de Keny Arkana, y’a même Mamadou Niang, ancien joueur de l’OM, qui nous a fait une vidéo. Je suis très content d’être soutenu, je ne m’attendais pas à tant, je suis hyper touché.
A : Le festival n’est pas que rap mais bien hip-hop. Qu’est-ce qui sera mis en place pour mettre en avant les autres pans de cette culture ?
D : On mettra en avant les DJs de la ville. On a DJ K-Mel Night, qui est le DJ de Soso Maness, DJ Soon qui a été historiquement le DJ de Carré rouge et du Troisième Œil, et de SCH dernièrement, on a aussi DJ Ridle, DJ Big Chris et DJ Lina qui sortent de mon école de DJ, Akademix. Aujourd’hui, Ridle joue avec Le Troisième Œil et Al Iman Staff, Big Chris joue au Bounce, un gros club hip-hop à Marseille, et DJ Lina a fait la première partie d’Alonzo, et plein d’autres soirées comme ça, qui a joué à Mouv’ y’a pas longtemps. Déjà cette partie-là, puis la partie danse organisée par les Sancho, finalistes de La France a un incroyable talent, un battle rap avec un price money, et également une impro d’un graffeur qui s’appelle DTKO. On peut imaginer que l’année prochaine on fasse un battle de beatmakers, de DJ, un focus sur nos réalisateurs de clips… On a l’objectif d’évoluer d’année en année et de proposer des choses nouvelles.
A : De ton côté, tu restes également actif, on t’a notamment vu auprès de Dany Dan à La Place récemment. Quels sont tes projets à venir en plus du festival ?
D : Moi, j’expose à la fin du mois d’avril un travail que j’ai fait entre Atlanta et Marseille. J’ai été à Atlanta, j’y ai vécu pendant un mois et demi, j’ai enregistré dans le studio d’Outkast. J’ai enregistré avec un rappeur qui s’appelle Question ATL là-bas, et aussi avec une allemande, Leila Akinyi. Je fais aussi du coaching scénique pour une association qui gère le festival Hip-hop Society. J’accompagne Dany Dan sur quelques dates, et y’a aussi la FF. J’ai mon école de DJ, mon émission de radio, des soirées, où j’essaie de transmettre, échanger, partager. Pas que faire des beats ou des scratchs. Je collabore aussi avec des artistes, L’Hexaler, Relo, Napoleon Da Legend… Et j’ai aussi fait la musique pour le documentaire Marseille Capitale du rap, donc j’arrête pas. J’ai un besoin pressant et intime de bouger.
A : Il ne manquerait plus qu’un album de la FF et ça serait la cerise sur le gâteau.
D : Ou un album de DJ Djel tout simplement. J’ai des titres exclusifs dans un placard, qui devraient peut-être ressortir un jour. Même un titre de la FF ça serait cool. Mais pour l’instant on prend le temps de prendre le temps, kiffer à travers cette tournée qui est une aubaine, financièrement et humainement. On va tracer tranquillement nos chemins, Le Rat prépare plein de choses, Sat également, Choa aussi, même Pone, avec ses livres et son label. On n’arrête pas de réaliser ce qu’on a envie de faire, toujours avec cet amour de la musique, cette simplicité, cette sincérité qui lui est propre.
A : Que peut-on te souhaiter pour ces deux jours de festival ?
D : Qu’il y ait du monde, que ça rayonne à travers la France, l’Europe, voire le monde, et que les gens viennent à Marseille pour un festival 100% marseillais, mais qui n’exclut pas les gens de l’extérieur. Que ça soit le plus populaire possible.
Interview réalisée par Adrien
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