Brö fait partie de ces artistes fascinantes et inclassables, à la croisée des chemins entre de multiples influences musicales. Après deux EP sortis en 2019 et 2021, elle a dévoilé le 31 mars dernier son tout premier album, intitulé Grande, et a célébré cette sortie en remplissant le Trabendo le 28 avril dernier. À cette occasion, elle s’est confiée à Scred Magazine pour évoquer sa personnalité artistique, son rapport au féminisme ou encore son regard sur sa jeune carrière.

 

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ADRIEN : Bonjour Brö, tu viens de sortir ton album Grande. Pour commencer, j’aimerais savoir quels sont les éléments qui font que tu te considères comme “grande“ désormais.

BRÖ : Je pense qu’en réalité, j’ai toujours été “grande“. C’est un surnom que m’a toujours donné mon père, c’est assez original (rires). J’ai un petit frère qui est beaucoup plus grand que moi, il l’appelle “grand“ aussi. C’est le surnom qu’il a inventé, et je trouvais assez cool de faire ce clin d’œil à mon père. Je pensais également que c’était le bon moment, parce que le cap du premier album, ça fait quelque chose, et c’est aussi un projet qui parle du passage à l’âge adulte, une sensation d’être dans la vie active et de commencer un peu à s’ennuyer…

 

A : D’où vient ton nom de scène, Brö ?

B : Brö, ça vient de Brölli, qui est mon nom de famille, et on m’a toujours appelée comme ça depuis le collège.

 

A : As-tu grandi dans un environnement ouvert sur la musique, et si oui, quels artistes sont les premiers à t’avoir touchée ?

B : C’était un environnement ouvert sur la musique, mais on n’en écoutait pas forcément beaucoup, on était plutôt dans le cinéma. Je dirais que les premiers artistes qui m’ont marqué, c’est Serge Gainsbourg et les Pink Floyd. Ils m’ont influencé, pas tant musicalement, mais plutôt dans la démarche, celle de faire des choses originales, nouvelles, et qui vont puiser l’inspiration dans divers genres musicaux.

 

A : Pourrais-tu classer ta musique dans une case aujourd’hui ?

B : Oui, mais seulement parce que c’est obligé (rires). J’ai décidé de la mettre dans la case de la nouvelle variété, parce que c’est de la musique riche, variée, et à la fois pop et moderne.

A : Est-ce que cela facilite les connexions artistiques avec des artistes inclassables, comme Ichon, invité sur le titre T’étais pas là ?

B : Ouais, totalement. C’est totalement le genre d’artiste que je ne mettrais dans aucune catégorie, c’est d’ailleurs pour ça que je l’ai invité sur le projet, parce que je considère qu’on est de la même école.

 

A : À l’inverse, est-ce que cela rend plus difficile les connexions avec des artistes d’un genre plus défini ?

B : Moi, je ne pense pas. D’ailleurs, j’ai des collaborations à venir avec des artistes bien plus identifiés “rap“. Au contraire, ça a été plus simple pour moi de m’adapter, ça m’apprend à faire preuve de polyvalence.

A : Que représente la pochette de l’album ? 

B : C’est une mise en scène fictive d’un rituel, comme un passage à l’âge adulte, une femme qui devient grande au sein d’une communauté. En l’occurrence, là, c’est les roux, une communauté qui n’existe pas vraiment, elle est fictive, folklorique, un peu inventée. C’était l’idée, de me représenter dans cette communauté et de représenter un moment solennel, de célébration.

A : Tu te décris comme une Moderne féministe, comment définis-tu ce concept, et en quoi diffère-t-il des anciennes féministes ? 

B : Je pense que les modernes féministes, dont je fais partie, sont des féministes qui ont un combat, mais, qui, peut-être dans une ère capitaliste, confondent leur combat avec la volonté d’être puissant. Dans une ère néo-libérale et capitaliste comme celle que l’on vit, c’est la volonté de beaucoup de gens. Cette chanson, c’est une volonté de montrer l’hypocrisie, qui est également la mienne, qu’il y a derrière ce féminisme libéral, qui ne vise non pas à être l’égal des hommes mais à être puissant. C’est tout à fait humain.

 

A : Est-ce important pour toi de donner une caisse de résonance à la parole féministe dans le milieu du rap français ?

B : Bien sûr, j’essaie d’avoir une parole libérée et d’être la plus libre. J’essaie d’avoir un discours proche de celui qu’un homme pourrait avoir dans l’autre sens. C’est vraiment un objectif pour moi de ne pas être coincée derrière des injonctions de genre.

 

A : Comment vois-tu les initiatives communes de rappeuses, comme le titre Ahoo de Chilla, Bianca Costa, Le Juiice, Davinhor et Vicky R ?

B : Moi je trouve ça très bien, même si ce n’est pas une chanson que j’écoute tous les jours. Le collectif donne de la force, le simple fait que la chanson existe est déjà une très belle initiative. Se donner de la force entre femmes qui ont de la notoriété, c’est le plus efficace et le plus simple pour arriver à l’égalité.

A : Si on t’avait contactée pour ce titre, aurais-tu pu poser dessus, ou sur d’autres morceaux similaires ?

B : Bien sûr, ça serait un honneur et un grand plaisir.

A : Dans le morceau Nadège, tu parles d’une histoire où tu te ferais quitter pour une femme plus jeune. La problématique de l’âge est également évoquée dans le titre Qui me ressemble en duo avec Ehla. As-tu le sentiment que l’âge pose encore problème en 2023 dans le milieu culturel, encore plus quand on est une femme ? 

B : Je pense que l’âge est un sujet dans la société, pour les femmes et pour les hommes. Il y a des attentes par rapport à l’âge, il y a des caps à passer, et je trouve ça un peu dommage, assez superficiel en réalité. J’ai des exemples dans ma vie, comme ma grand-mère, qui a quatre-vingt-cinq ans, et qui ne fait pas son âge parce qu’elle est curieuse. Elle est libre, elle voyage, elle continue à apprendre et à se laisser influencer par les autres. Pour moi, être ouvert et être jeune, c’est aussi quelque chose qui se travaille. C’est pas juste l’âge qui donne la liberté, c’est la quête pour y arriver. Il faut s’émanciper de ces injonctions liées à l’âge.

A : Pourrais-tu collaborer avec un rappeur qui véhicule, consciemment ou non, des clichés masculinistes ? 

B : Oui, parce que je ne suis pas au-dessus de la morale, et je ne suis pas parfaite moi-même. Je considère qu’un artiste n’a pas à être parfait, donc si j’aime sa musique, et si je crois qu’il y a un espoir pour que la personne évolue, je serais ravie de participer à ce changement et à une rencontre qui le ferait évoluer et me ferait évoluer par la même occasion.

 

A : On attend donc ton duo avec Kaaris. 

B : Avec énormément de plaisir (rires).

A : Penses-tu que les artistes ont la responsabilité d’éduquer le public sur ce genre de problématiques ? 

B : Non, personnellement je préfère les artistes qui parlent de sujets avec un certain niveau de profondeur et de réflexion. En revanche, je pense qu’il n’y a pas de responsabilité à avoir, qu’un artiste est libre, s’il a envie de faire du pur divertissement, c’est son droit. En réalité, c’est pas lui le ministre de l’Éducation Nationale, c’est pas vraiment à lui de porter le fardeau de l’éducation des jeunes. Après, si tu peux y participer c’est encore mieux, mais pour moi ce n’est pas une responsabilité et encore moins une obligation.

A : Crains-tu de t’enfermer dans l’image d’une artiste féministe et d’être uniquement réduite à ça par le public ? 

B : Je ne pense pas, parce qu’en réalité j’ai peut-être une ou deux chansons qui parlent de ça, mais au fond c’est pas tant que ça le sujet principal de ma musique. En réalité, c’est parce que je suis une femme, qu’on va associer ces chansons et les interpréter comme féministes, mais en réalité elles ne le sont pas tellement. Quand je parle de mes expériences humaines, à quelques exceptions près, je ne suis pas dans une démarche féministe, parce qu’en réalité c’est pas naturel pour moi.

A : Tu viens de remplir le Trabendo, que tires-tu de cette expérience ?

B : J’en tire un bilan hyper positif, franchement c’était ouf. J’ai vraiment travaillé en amont pour proposer un show de qualité, et tout s’est bien passé, il n’y a eu aucun bug, aucun problème. J’ai eu l’ambition de faire un spectacle d’un niveau respectable, et d’avoir réussi à le faire, c’est que j’ai bien fait mon taf et que j’ai donné aux gens ce qu’ils étaient venus chercher, c’est un bilan hyper positif.

 

A : Sur quelles autres dates pourra-t-on te retrouver prochainement ?

B : Je serai à Caen le 20 mai, à Nantua le 28, à Lille le 3 juin, puis à Montréal les 10 et 11 juin, et cet été en festival un peu dans toute la France. Pour retrouver les dates, il faut aller sur ma page Instagram ou sur le site de Nouvéa Productions.

 

A : Comptes-tu enchaîner rapidement avec un autre projet ou exploiter Grande sur la durée ? 

B : Je compte faire un maximum de dates parce que mon cœur de métier ça reste le live, mais je travaille en parallèle sur mon deuxième album. J’ai pas d’idée spécifique de quand ça va sortir, mais je ne me presse pas. Pour moi ce n’est pas problématique de tourner et de continuer à composer.

 

A : Scred Magazine suivra en tout cas tout cela avec attention.

 

L’album Grande de Brö est disponible sur toutes les plateformes de streaming.

 

Interview réalisée par Adrien

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