Véritables OGs du 95 et du hip-hop français, et ayant performé dans la plupart des disciplines, luXe Timeless et Bessy Bess dévoilent ce 30 juin leur album commun intitulé Business Moves. Le duo existe depuis plus de vingt ans, cependant les différentes trajectoires de carrière des deux rappeurs ne leur ont jamais permis de sortir un projet avant. luXe a vécu près d’une décennie à New York, a breaké là-bas et a sorti plusieurs projets et singles en solo depuis son retour en France en 2015, tandis que Bessy Bess sillonnait les compétitions de break en France. Au bout d’une longue attente, le projet des deux amis est finalement disponible ce vendredi, l’occasion pour eux de se confier à Scred Magazine sur leurs parcours respectifs.
ADRIEN : Bonjour luXe et Bessy Bess. Vous formez le duo 95Zoo, et vous sortez ce 30 juin l’album Business Moves. Quand et comment vous êtes-vous rencontrés ?
LUXE TIMELESS : J’ai eu la chance de rencontrer certains membres du groupe Criminalz, qui à l’époque, s’appelait Fatal Boys. C’est un gros groupe de breakeurs du 95, et vu que j’étais un gars du 95, j’avais vite fait rencontré des gars de ce groupe-là, Mengo et Poizon . On s’est vus à un battle 2 contre 2, et ce jour-là, j’aurais voulu faire le battle mais je n’avais pas de partenaire. On m’a présenté Bessy Bess, et franchement, c’était comme un film.
A : Lui non plus n’avait pas de partenaire ?
L : Il était dans le groupe avec ses potes, mais il n’était pas censé faire le battle ou quoi… On lui a demandé s’il était chaud de faire le battle avec moi, il était chaud d’entrée, on a fait le battle ensemble, et on est devenus amis. C’était autour de l’année 2002, environ.
A : Comment le hip-hop est-il arrivé dans vos vies ?
BESSY BESS : Pour ma part, j’étais en Guadeloupe pendant les vacances, à l’époque je faisais du foot. J’étais avec mon cousin qui faisait du break et m’en parlait. Je lui demande ce que c’est, il me dit que c’est de la danse et je pense que c’est un truc de meufs. On va dans le jardin, il me montre, il me fait quelques freezes et c’est là que j’ai kiffé. Je suis en mode « c’est un truc de ouf, comment tu fais ? ». Et du coup, toutes mes vacances, je les ai passées à breaker avec lui, il m’a initié. Dès que je suis rentré en métropole, j’ai commencé à pratiquer. Avant ça, j’étais initié au rap par mon grand frère qui en écoutait pas mal. Dans le quartier c’était Secteur Ä, tous les anciens groupes, et ça a commencé comme ça.
L : Pour moi, ça rejoint la fin de ce qu’a dit Bessy. Moi, quand j’étais petit, il y avait beaucoup les histoires de Secteur Ä, Doc Gynéco, et cætera qui arrivaient, et ça venait de notre coin donc on baignait dans ça. En plus de ça, mes parents bougeaient beaucoup, et ma mère était souvent en transports. Elle me prenait tout le temps avec elle sur la ligne H, qui fait la liaison entre Persan-Beaumont et Gare du Nord, c’est un peu une ligne légendaire en termes de graff. Moi, j’ai toujours été fasciné par ça, j’avais les yeux scotchés à la vitre. À quatre ans, j’étais déjà scotché sur le truc, à cinq ans, j’étais un peu plus scotché et je commençais à m’intéresser, à six ans, j’étais définitivement intéressé, et à sept ans, je commençais à gribouiller. À huit ans, j’avais « officiellement » commencé le graffiti. Le graffiti était mon premier amour, avant ça, tu dessines des personnages de Dragon Ball Z ou Les Chevaliers du Zodiaque parce que tu kiffes ça comme tous les petits. J’ai vu qu’il y avait un monde dans lequel je pouvais m’exprimer, compatible avec ce que je voyais au quotidien. Sur les lignes que je prenais, tu voyais le truc évoluer en temps réel, un jour tu vois un blaze, le lendemain t’en vois un autre. L’effervescence, à cette époque-là, était ouf, c’est ça qui m’a matrixé.
A : Pour les générations d’après, c’est presque comme si les tags ont toujours été là, on n’a pas le même rapport avec.
L : Le mouvement de grosse répression est arrivé à mon adolescence, je l’ai vécu par procuration, en live. Quand je dis « par procuration », c’est parce que je n’étais déjà plus actif, j’étais déjà dans le break. La première fois que j’ai vu du break c’était dans un jam de graffeurs, qui s’appelait Kosmopolite, à Bagnolet. J’ai un cousin qui habitait là-bas, je voyais ça de loin. Un peu comme Bessy, j’ai un poto qui a fini par me montrer, et ça m’a donné envie d’apprendre.
A : Quels artistes furent vos premières inspirations ?
B : En break, il y avait déjà des mecs très chauds dans ma ville, qui avaient un ou deux ans de plus que moi et qui pratiquaient déjà. La première fois que je suis arrivé dans la salle de break et je les ai vu faire des figures, j’étais ouf, c’était trop chaud. Ils faisaient déjà des compétitions, c’est eux que j’ai vu les premiers en terme de break. Dans le peura, j’ai vraiment commencé à écrire avec Sambastos, du Ghetto Fabulous Gang. C’est un mec de ma ville, et on a commencé à écrire et enregistrer sur des petites cassettes. On clashait les mecs de la cité et on se faisait embrouiller par les grands (rires), on se démerdait pour trouver des petits studios à gauche à droite, et l’envie d’écrire et de poser est venue de là.
L : Je rebondis dessus, c’est pour ça que cet album-là est particulièrement important pour nous et pour moi. Il faut savoir que Bessy, c’est le premier gars que j’ai vu rapper sérieusement devant moi. Même pour rigoler, tout le monde dans l’équipe de l’époque se démerdait pour rapper sauf moi. Pourtant, je me butais au rap depuis tout petit, mais j’avais pas encore ce truc en moi de rapper. On va dire que j’avais des comptes à régler avec le break avant.
A : Ça me rappelle une interview de Lacrim, dans laquelle il explique que la première fois qu’il entre dans un studio pour rapper, il a déjà vingt-six ans.
L : C’est assez proche de mon expérience, mais j’ai rappé pendant cinq ans dans la rue sans aller en studio, quand j’étais à New York. Je suis allé en studio une fois, j’ai fait un son en cainri, je l’ai envoyé à deux trois potes, ils ont pété un câble. Mais ça ne ressemblait pas encore à ce que je voulais faire, et je n’avais pas le temps, j’étais trop dehors. La vie à New York, c’était tellement un truc de ouf, on dormait pas, tu te retrouvais à Times Square à 4h30 du mat, y’avait des cyphers avec des mecs des cinquante États réunis. Personne n’était connu, tout le monde était fort. T’avais pas envie d’aller en studio, tu vivais le truc au jour le jour.
A : Comment prends-tu la décision de partir à New York, au plus près de la culture hip-hop ?
L : À force de voyager avec le break, et avec notre style, qui, encore plus dans le break que dans le rap, représente l’essence du truc, et la France étant un peu le pays de couillons qu’elle est, on était savamment boycottés. C’est en faisant nos voyages aux States que les grosses têtes nous ont vus et ont fait « Putain, ces mecs sont trop chauds ». C’est après que ça s’est débloqué en France et que les gens ont commencé à nous donner du respect. J’ai toujours eu un esprit qui regardait vers l’avant, et j’ai toujours voulu partir. Je voulais même partir avant mes dix-huit ans, mais j’ai eu des galères judiciaires et cætera. J’ai quelques potes qui ont aidé, et sur les coups de dix-neuf ans, j’étais là-bas, je faisais encore quelques allers-retours pour quelques conneries en France. À un moment j’ai juste arrêté ces allers-retours.
A : Bessy Bess, as-tu envisagé de rejoindre luXe là-bas ?
B : Moi, j’avais des trucs à gérer ici. Ensuite, je suis allé le rejoindre là-bas pour quelques vacances, kiffer avec lui. À chaque fois que j’allais là-bas, quand je rentrais en France, j’étais métamorphosé.
L : Et surtout, à chaque fois que Bessy Bess a touché le sol américain, il a fait trembler tout le game. Des mecs super chauds prenaient des gifles, ou reconnaissaient la gifle que d’autres mecs chauds ont prise.
B: C’est luXe qui m’a mis dedans, mais j’avais déjà un tempérament de conquérant, j’avais les crocs. Je m’en fous de qui est en face de moi. J’ai eu très tard Internet, ça veut dire que dans les battles, je ne connaissais pas les gens, je ne me renseignais pas dessus. Quand j’arrive dans un battle, je peux défier le plus chaud de la salle, et y’a rien. Personne ne me dit « lui c’est untel, c’est un champion du monde… », y’a aucune barrière, on est dans un cercle, je te fume. C’est ça qui a fait que, par exemple, quand j’étais à Los Angeles pour le battle Freestyle Session, j’étais grave chaud, parce que j’étais fier de faire ça avec mon gars luXe, et surtout, je ne connaissais personne. Je n’avais aucun frein et j’étais déterminé comme jamais. On a fait ça bien de fou, et c’est comme ça qu’on a commencé à parler de nous.
A : As-tu continué à performer dans le break quand luXe n’était pas là ?
B : Ouais, j’ai continué, j’avais pas le choix de représenter.
L : Il représentait ici, et je représentais là-bas. Quand il est venu à New York, on a officialisé son entrée dans mon groupe du Bronx, Ready To Rock.
A : luXe, à New York, tu as côtoyé des OGs du rap et du break, t’ont-ils inspiré dans tes morceaux ?
L : Alors, je n’ai pas sorti de morceaux officiellement quand j’étais là-bas, tout a commencé après mon retour en France vers 2015.
A : Même le feat avec Mobb Deep ?
L : Ça s’est passé après, vers début 2016. Je n’ai pas côtoyé Mobb Deep à New York, mais d’autres légendes, des mecs de la première génération, comme Grandmaster Caz, le premier rappeur à avoir percé en solo. L’archétype du rappeur « ghetto superstar », comme mon son qui s’appelle comme ça. Lui m’a beaucoup appris, à démarrer des couplets, à fermer des couplets, il m’a donné plein de conseils sur plein de trucs. J’ai côtoyé Lord Finesse, Large Professor, tous ces anciens très actifs dans la scène hip-hop globale, et que je croisais beaucoup dans les Park Jams parce qu’on avait beaucoup d’amis en commun. J’ai beaucoup côtoyé Jazzy Jay, co-fondateur de Def Jam, ou Soulsonic Force, Pow wow, Globe, Biggs, qui ont inventé les flows trap ou le sampling. Ils ont inventé le sampling et c’est aussi les mecs les plus samplés de tous les temps. Mobb Deep, c’était au contraire une connexion qui s’est faite naturellement quand on les a croisés en France, durant un festival. Ils nous ont vu breaker, Bessy et moi, et ils étaient en mode « vous breakez comme des new-yorkais c’est un truc de ouf », je leur explique que je viens de rentrer ici, que je sors d’une décennie là-bas, que mon grand c’est Jazzy Jay… C’est comme ça qu’on s’est connectés, et au bout de cinq minutes, je me rends compte que j’avais un clip, pas sorti, sur leur face B, dans mon téléphone. Je leur dis « prenez le clip » et je leur passe mon téléphone, ils regardent et bougent leur tête. Moi j’ai pas cette préconception, mais en France on a beaucoup cette phrase, « ils font les cainris ». J’y ai quand même pensé, peut-être qu’ils étaient en train de me saucer. Du coup j’ai dit : « Si vous êtes chauds, vous faites une intro, vous me validez, j’envoie ça à l’ingé son, je mets un gros logo Mobb Deep, comme ça j’ai le tampon pour ma mixtape. ». Ils se sont regardés, ils m’ont regardé, ils ont dit « OK », ils ont fait l’intro, j’étais au max, ça s’est fait comme ça.
A : Tu as évolué au sein de divers crews de breakeurs, jusqu’à participer à des compétitions de haut niveau. En comparaison avec la France, est-ce facile de s’adapter à un tel niveau ?
L : C’est pas du tout pareil, en France, pour le break, c’est beaucoup le côté gymnastique qui est mis en avant, ils comprennent pas le fond. Aux States, c’est beaucoup plus voyou, thug, même si en France, des groupes ont porté ça, dont Criminalz dont je t’ai parlé avant, les mecs de ma ville avec qui j’ai commencé, Reegan, Max, Vida, les Def Dogz, bien gangsta. Nous on avait ce truc-là parce qu’on avait cet héritage du 95, en vrai c’était pas une question de niveau, c’était plus une question de monde. Oui, le niveau de là-bas est à des années-lumière du niveau d’ici, mais nous on s’est jamais entraînés pour le niveau d’ici, parce qu’on le trouvait claqué.
A : C’est un peu comme en football quand une équipe amatrice rencontre une équipe pro en Coupe de France ?
L : Non, c’est pas ça, là tu me parles d’un sport qui est codifié. Comme le break est un art, la subjectivité donne place à beaucoup d’erreurs. Dans le prisme du football, il y a des règles qu’on n’a pas ici.
A : Tu sors le projet Lexington en 2018, ce qui te permet d’être un peu plus identifié sur la scène française. Quel bilan tires-tu de ce projet ?
L : J’avais commencé à m’identifier avec la luXe Mixtape, même si elle n’était pas sur les plateformes. Lexington n’est pas sorti comme il aurait dû sortir, au moment où je l’ai fait, le projet était 100% sincère, il fallait que je le fasse. Comme je me considère encore au début de ma carrière, c’est pas l’heure de faire un bilan.
A : Pas l’temps pour les regrets ?
L : Ni pour les bilans.
A : Même les bilans qu’on fait calmement ?
L : Justement, on fait le bilan calmement, c’est pas pour maintenant. Comme ils disent dans la chanson, « comme si on avait cinquante ans », j’ai pas cinquante ans, frère. Le bilan c’est pour plus tard.
A : En parlant de temps, tu choisis ensuite de rajouter « Timeless » à ton nom, pourquoi ce choix ?
L : C’est plus récemment en fait. Tous les blazes que j’ai eus, tous les AKA, c’est des noms qu’on m’a donné, qui me sont tombés dessus. Celui-là, luXe, c’était vraiment magnifique, c’est court, ça pète, mais ce que je voyais arriver à grands pas, c’était la saturation du truc. Un jour tu te lèves, et y’a trente-cinq mecs avec le même blaze que toi sur Spotify. Chez nous, dans le break, tu te fais frapper ou humilier publiquement pour ça. Mais ces mecs-là, je peux pas trouver leurs adresses…
A : Surtout que c’est pas que des français, ça peut être un mec en Équateur qui n’a jamais entendu parler de toi…
L : Même quelqu’un qui n’a rien à voir avec le rap, avec la démocratisation des moyens de production. Même le fait que j’écrive mon blaze de manière créative, avec le « l » minuscule et le « X » majuscule, ça ne change rien parce que les moteurs de recherche ne prennent pas ça en compte. En termes de référencement, j’étais baisé. Par contre ma musique se définit, comme mon break et mon graff dans une moindre mesure, par une capacité à être intemporel. J’ai jamais été défini par une époque, les gens aiment bien faire ça, moi ça m’a dégoûté. T’es fort, t’es fort, t’es nul, t’es nul, y’a pas d’époque qui va changer ça. Si en te sortant de ton contexte, t’es nul, c’est que t’es pas chaud en fait. Tu prends le son de Melle Mel, The message, tu l’écoutes maintenant, le son il nique des mères encore. Timeless, c’est aussi un clin d’œil à une phrase que j’ai mise dans ma première mixtape.
A : Tu enchaînes avec quelques singles en solo, quand prends-tu la décision de retravailler avec Bessy Bess ?
L : En fait, avant que le premier single ne sorte, on avait déjà commencé à bosser le projet 95Zoo. On avait déjà 90% des titres, et on voulait juste les mixer de la bonne manière pour que ça sonne exactement comme on voulait. Grave, puissant, thug, lourd, pas plastique. Ça a pris du temps, on a bénéficié de la démocratisation des moyens de production, la même qui a ramené la saturation. On voulait en profiter de la bonne manière et prendre le temps. Pour meubler et pour m’exprimer, parce que j’avais une niaque intérieure qui me poussait à m’exprimer en solo, j’ai sorti ces singles, mais le projet était déjà écrit et posé.
A : Comment le titre Business Moves s’est-il imposé pour ce projet ?
L : Ça vient d’une phrase que Bessy dit dedans. Dans la vie, pas que dans le rap, j’ai toujours trouvé que Bessy avait cette capacité à synthétiser les choses, de manière simple. Je passe souvent par la complexité pour arriver à une réponse simple, lui peut aller un peu tout droit. Dans l’album, il dit : « Restez focus sur les business moves », ça résume bien ces dernières années nous concernant, dans la sphère privée et dans nos projets. Quand je rappe, j’ai l’impression que c’est Bessy Bess qui rappe, et demain, si je pète tout dans le rap en solo, Bessy mangera un pourcentage giga fat dessus. On a commencé ensemble, c’est lui qui m’a inspiré et qui m’inspire au quotidien, et de plein de manières que je n’ai pas encore eu l’occasion de montrer. C’est pour ça que cet album est important.
B : Il est grave important aussi pour tout le vécu, tous les obstacles qu’on a surmonté, toutes les galères. On en a eu de ouf, et on continue à bosser, on a voyagé ensemble dans les quatre coins du monde. Je le connais, il me connaît, comme si on était frères, et oui, on est des frères. On n’a rien à s’apprendre, et on se parle français.
L : J’ai plus de sang en commun avec Bessy qu’avec une immense partie de ma famille.
B : Voilà, on sait se dire les choses.
L : On fait partie d’une race rare dans le monde d’aujourd’hui, on ne lâche pas l’affaire donc on ne se lâche pas non plus.
A : La photo que vous avez utilisée comme pochette symbolise bien cet esprit, d’où vient-elle ?
L : Ça date de l’époque, à La Défense, un endroit légendaire où j’ai gagné mon premier battle, et où on a coupé d’innombrables têtes avec Bessy et d’autres membres du 95Zoo. On a vraiment fait du sale là-bas, et on est pas les seuls à avoir fait du sale là-bas. C’est une photo qui a été prise spontanément là-bas, moi je ne l’avais plus, c’est mon gars Poizon, le mec à gauche sur la photo, qui me l’a envoyée. Au moment de faire la cover, on avait pensé à faire un shoot et tout, et après j’ai réfléchi. Bessy n’était pas vraiment chaud au début, mais j’ai dit : « Franchement, frère, n’importe quel gros rappeur cainri aurait pris cette photo et tout le monde aurait compris. Que les gens comprennent ou pas, faisons-le c’est cette photo qui a le plus d’histoire. ». Dans dix, quinze, trente ans, c’est cette photo-là qui aura le plus de sens à regarder quand on reviendra sur ce projet-là. On aurait pu faire le plus beau shoot du monde, ça n’aurait pas égalé ce truc-là.
A : Un beau shoot ça arrivera peut-être sur un autre projet mais pas celui-là.
L : PNL, et cætera, ils peuvent arriver comme ça, tout le monde peut faire un gros shoot. Mais aucune entité dans le rap français actuel n’aurait pu sortir cette photo. À ce moment-là, avec ces dégaines-là, avec cette aura-là, ça ne s’achète pas. Ou t’étais là et t’étais ce genre de mec-là, et c’était difficile et réservé aux élites, ou bien tu ne peux simplement pas.
A : Dans ce projet, l’idée de « hustle » est omniprésente, vous parlez constamment de développer des activités hors de la musique en parallèle de vos carrières. Est-ce que la mentalité américaine vous a influencés à ce niveau-là ?
L : Je ne pense pas que ça soit la mentalité américaine, c’est une mentalité « les hommes construisent, les hommes conquèrent ». T’es un homme, tu veux conquérir et avoir un impact positif sur l’environnement autour de toi. Tu te rends compte de tes responsabilités envers tout ce qui t’entoure, que ce soit tes amis, ta famille, la nature, même un SDF que tu croises. Moi, chaque fois que je croise un SDF, ça me remplit de rage de ne pas avoir juste 3K à lui sortir de ma poche et lui donner, sans me retourner : « Tiens, mon frère, va, file. Oublie un peu à quel point c’est la merde pendant deux semaines, frère. Même quand on arrivera à ça, on n’arrêtera pas, ça ne sera jamais fini parce qu’on sait pertinemment qu’on n’arrivera pas à rétablir la balance dans le monde. Mais au moins, le jour où on sera partis, ne rien regretter et se dire qu’on aura fait le maximum. C’est une source de motivation naturelle, il ne faut pas en avoir honte, c’est quelque chose de positif, qu’il faut nourrir, mais ça n’a rien à voir avec quelque chose d’américain ou quoi. Après, c’est vrai que dans l’imaginaire collectif c’est un truc américain, mais même moi qui ai passé tellement de temps aux States je te dirais pas que c’est quelque chose qui vient de là.
A : Au fil de la tracklist, il y a une idée d’élévation à plusieurs niveaux, est-ce que cette évolution suit celle de vos vies ?
L : Les prods sont venues et reparties, on ne s’est pas censurés. Tu le prends comme une évolution alors que pour nous c’était juste une liberté d’aller où on voulait aller.
A : L’été des hustlers a une couleur plus estivale, presque celle d’un single, comment s’est fait ce morceau ?
L : Moi, personnellement, pour la prod, j’ai été inspiré par un son de Nas, jamais sorti officiellement, qui s’appelle Summer Cookout, un classique pour moi. Un jour, j’ai trouvé un moyen de faire une prod qui y ressemble, mais en plus festif, et Bessy a direct attrapé le groove. D’ailleurs, c’est un véritable grandmaster des barbecues, il fait les meilleurs poulets, les meilleures viandes, il est intestable. C’est le grand maître des barbecues. Il s’est mis direct dans le truc, et j’ai écrit autour, quoi.
A : Envisagez-vous de clipper des morceaux de ce projet ?
L : Ouais, on en a clippé trois, y’en a un quatrième qui arrive. Le premier à arriver c’est La mif et l’argent.
A : Même si vous gardez un ADN très hip-hop, vous n’êtes pas si conservateurs, et vous poussez notamment de jeunes artistes, comme Commelahaine. Comment s’est faite cette rencontre ?
L : Commelahaine c’est avant tout une rencontre humaine, mais tu sais, en général, les rencontres elles se font pas par le style, elles se font par l’humain. J’ai des frères qui ne breakent absolument pas comme moi, qui ne me ressemblent pas, mais c’est quand même mes refrés. C’est les cons qui jugent les gens par rapport à la surface, moi ça m’horripile, c’est une relation humaine. J’ai un frère qui s’appelle Vinzy, qui est dans l’industrie musicale, qui me l’a présenté un jour, et on s’est kiffés. Après, je l’ai présenté à Bessy et voilà.
A : Avec l’âge, est-ce toujours simple de continuer à s’impliquer pleinement dans le break ?
L : Moi, je suis d’avis que c’est pas un problème, mais c’est un problème si t’as pas fait le taf avant. Si t’as fait le taf, tu bénéficies d’une certaine installation, d’une certaine aura, d’un certain bagage qui te permet de gérer ton break d’une certaine manière. T’as pas à prouver ce que t’avais à prouver quand t’avais seize ans, par contre si tu l’as pas prouvé de tes seize ans à tes trente-cinq, en vrai tu charbonnes comme tout le monde. Comme nous on a charbonné, le truc c’est de garder ça et de le faire progresser d’une certaine manière. Tu peux progresser avec l’âge, mais avec les choses que l’âge amène en fait.
B : Y’a des mecs qui deviennent de plus en plus forts à force de breaker.
L : Moi, frère, mes grands ils ont changé le game à quarante, cinquante, cinquante-cinq ans. Et aussi, regarde Bessy, physiquement, il est au top de sa forme physique. Moi, si tu me regardes là, actuellement, même si j’ai eu de sérieux problèmes de santé les dernières années, j’ai le corps que j’avais à dix-neuf ans.
A : À partir des JO de 2024, le breaking devient une discipline olympique. Comment jugez-vous cette évolution ? Est-ce que, quand vous avez commencé, si on vous avait dit que ça deviendrait un sport olympique, vous l’auriez cru ?
L : Ouais, moi je l’aurais cru. J’avais déjà ce regard critique sur la France qui voyait le truc globalement comme de la gymnastique. Pour moi c’était évident que ça allait y arriver un jour, c’était juste une histoire de politique. Il fallait juste qu’il se repasse ce qu’il s’est passé dans les années 1980, avec des gens dans des mécanismes haut placés, qui se disent qu’il y a quelque chose à gagner avec le break et qu’il faut le mettre en avant. C’est ce qui s’est passé, et je suis très content pour les jeunes, avec les opportunités de sponsoring et de visibilité qu’ils ont. J’estime que la partie uniquement culturelle du truc, de toute façon, il n’y a quasiment que dans certains endroits aux States et en Asie qu’elle existe encore. En France elle est quasiment morte depuis super longtemps, c’est pas les JO le problème c’est des acteurs divers. Et il ne faut pas oublier que là, c’est en France, mais quatre ans après, c’est ailleurs, y’aura plus toute cette effervescence. C’est une mise en avant qui ne reviendra que tous les quatre ans. Tu ne peux pas baser un écosystème dessus.
A : Après, il y a Red Bull et d’autres marques qui surfent un peu dessus.
L : Justement, ceux qui veulent le faire dessus, ils sont bienvenus. Ils arrivent à se rendre compte qu’il y a des opportunités et ils seront accueillis comme il se doit par ceux qui savent et veulent faire des affaires.
A : Si c’était arrivé quelques années avant, aurais-tu pu participer aux Jeux Olympiques ?
L : Ouais, j’aurais pu, totalement.
A : En parallèle de ce projet, luXe, tu continues à sortir des titres en solo, comme Groove céleste le 15 juin dernier. Pour la suite, envisagez-vous un nouveau projet à deux ou des projets solo ?
L : Les deux. On est surtout focalisés sur l’exploitation de ce projet et l’aider à avoir le rayonnement qu’il doit avoir. Mais des choses sont prêtes pour la suite, bien sûr. Bessy Bess a aussi son projet en tête, mais c’est surtout une question de timing et de ressources derrière. Ce projet-là c’est pareil, on aurait pu le sortir il y a quatre ans.
A : Aurez-vous l’occasion de défendre Business Moves sur scène ?
L : Bookez-nous, contactez notre manageuse Lhamo !
Interview réalisée par Adrien
L’album Business Moves de luXe Timeless et Bessy Bess est désormais disponible sur toutes les plateformes de streaming et en physique sur le site www.luxetimeless.com